• Je retranscris ci-dessous une contribution au journal en ligne allemand The European (ainsi que la version allemande parue sur leur site) 

    TheEuropean

    La perte du AAA français, une bonne nouvelle pour l’Europe ?

    La dégradation par Standard&Poor’s de la note souveraine de la France et de quelques autres pays européens était largement anticipée par les marchés et les analystes financiers. En outre, comme on s’y attendait, la perte du AAA français a entraîné mécaniquement celle du Fonds Européen de stabilité financière (FESF) dont la capacité d’intervention est désormais réduite à moins de 300 milliards d’euros. L’intervention du FMI apparaît inéluctable pour secourir la Grèce, le Portugal ou même l’Italie. Mais au-delà des conséquences de cette décision sur le coût de refinancement des pays et entités publiques concernées, il faut analyser ses répercussions à moyen et long terme.

    En France, cette décision sanctionne la politique économique du président Nicolas Sarkozy mais aussi celle de ses prédécesseurs des trente dernières années, qu’ils soient de gauche ou de droite. Contrairement à l’Allemagne qui a axé sa stratégie de croissance sur la promotion des entreprises de taille intermédiaire – le Mittelstand - et a bâti une économie décentralisée après la seconde guerre mondiale, la France a privilégié un modèle fondé sur de grandes entreprises dirigées par des hauts fonctionnaires qui a permis de soutenir la consommation et de financer les dépenses publiques, mais qui s’est ensuite « grippé » à mesure que ces entreprises s’internationalisaient et échappaient à la pression fiscale nationale. A l’absence de renouvellement du tissu productif et au sentiment d’une « désindustrialisation » subie qui favorise l’essor du populisme et du protectionnisme, se conjuguent la difficulté de renouvellement des élites issues du baby boom, et la faillite de la politique d’intégration des populations immigrées.

    Les conséquences européennes de la décision de Standard&Poor’s, elles sont liées avant tout à l’absence de volonté politique, de la part de l’Allemagne et de quelques autres Etats « vertueux » d’aller vers un fédéralisme budgétaire et fiscal qui impliquerait une solidarité plus forte avec les pays du « Club Med ». Cela s’explique par la « fatigue institutionnelle » ressenti par les habitants de ces pays à la suite de la réunification allemande et de l’élargissement à marche forcée de l’Union Européenne dans les années 2000. En outre, le traité de Lisbonne de 2009 a renforcé la logique intergouvernementale, au détriment de la logique supranationale et de l’esprit du traité de Rome de 1957, sans toutefois atteindre le consensus nécessaire pour dépasser la crise actuelle. Même s’ils ont sans doute évité le pire, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel n’ont pas su transformer la crise en opportunité. Ils n’ont pas su se hisser à la hauteur historique des couples De Gaulle - Adenauer ou même Mitterrand-Kohl.

    Quant aux marchés financiers qui ont été beaucoup critiqués, ce qu’ils demandent ce n’est pas moins d’Europe, mais au contraire une Europe renforcée dans ses fondations et dans sa gouvernance économique et monétaire. Au niveau technique, les solutions sont connues : instauration d’une fiscalité européenne, émission d’euro-obligations, mise en place d’un ministère des finances de la zone euro. Mais il faut aller plus loin, avec l’élection au suffrage universel d’un président de l’Union européenne, le renforcement du contrôle du parlement européen sur les budgets nationaux et le développement d’une politique industrielle qui fasse contrepoids à la politique de la concurrence. Tout cela nécessitera sans doute une nouvelle génération de leaders. En ce sens, la décision de Standard&Poor’s est salutaire. 

    Frankreichs Bonität : Traut euch

    Die Herabstufung Frankreichs durch die Rating-Agentur Standard & Poor’s ist ein Fanal für Paris und die gesamte Union. Die bisherige Industriepolitik des Landes wird damit gebrandmarkt. Doch die Märkte fordern mehr Europa, nicht weniger.

    Die Herabstufung Frankreichs und weiterer europäischer Länder durch Standard & Poor’s war von den Märkten und den Finanzanalysten erwartet worden. Der Verlust der Top-Note zog die Herabstufung des EFSF nach sich – auch das war erwartet worden. Dessen Reaktionsfähigkeit ist jetzt auf 300 Milliarden Euro reduziert. Eine Intervention des IWF scheint nunmehr unvermeidlich, um Griechenland, Portugal und eventuell sogar Italien zu retten. Neben den steigenden Refinanzierungskosten für die betroffenen Länder muss man aber auch die mittel- und langfristigen Auswirkungen bedenken.

    Nährboden für Populismus

    Mit der Entscheidung bestraft Standard & Poor’s nicht nur die Wirtschaftspolitik von Nicolas Sarkozy, sondern auch die seiner Vorgänger der letzten 30 Jahre, unabhängig davon, ob sie links oder rechts waren. Deutschland hat seine Wachstumsstrategie auf die Förderung des Mittelstandes ausgerichtet und nach dem Zweiten Weltkrieg eine dezentralisierte Wirtschaft aufgebaut. Im Gegensatz dazu bevorzugte Frankreich ein Modell, das sich auf große, von Beamten geführte Unternehmen stützte. Anfangs kurbelte dies zwar den Konsum an und ermöglichte die Finanzierung von öffentlichen Ausgaben. Als die Unternehmen sich aber zunehmend internationalisierten und der französischen Steuerlast entflohen, schmolz dieser Effekt dahin. Die wirtschaftliche Strukturschwäche fühlte sich fast wie eine De-Industrialisierung an und war ein Nährboden für Populismus und Protektionismus. Hinzu kommt nun noch das Problem, dass den Eliten der Baby-Boom-Generation niemand nachwächst, und dass die Integrationspolitik weitgehend versagt.

    Die europäische Dimension der Entscheidung von Standard & Poor’s ist in erster Linie ein Appell an den politischen Willen Deutschlands und der anderen „braven“ Staaten, einen Haushalts- und Fiskalföderalismus aufzubauen. Das würde nämlich eine stärkere Solidarität mit den Ländern des Club Med (Mittelmeerstaaten) bedeuten. Der fehlende politische Wille in Deutschland und den anderen „braven“ Staaten resultiert vor allem aus dem Institutionenverdruss der Bewohner in Folge der deutschen Wiedervereinigung und der großen EU-Erweiterung der 2000er-Jahre. Darüber hinaus hat der Vertrag von Lissabon die zwischenstaatliche Logik zu Lasten der supranationalen Logik in den Römischen Verträgen verstärkt, ohne dabei jedoch den Konsens zu erreichen, der zur Überwindung der aktuellen Krise notwendig wäre. Auch wenn sie zweifellos das Schlimmste verhindert haben, so sind Nicolas Sarkozy und Angela Merkel doch daran gescheitert, die Krise in eine Chance zu verwandeln. Sie haben es nicht geschafft, auf die historische Augenhöhe ihrer Vorgänger-Paare – De Gaulle/Adenauer und Mitterrand/Kohl – zu gelangen.

    Mehr Europa

    Die Finanzmärkte wurden viel kritisiert. Sie fordern jedoch nicht weniger Europa, sondern im Gegenteil ein in seinen Grundfesten und in seinem Wirtschafts- und Finanzregelungssystem gestärktes Europa. Auf der technischen Ebene sind die Lösungen bekannt: ein europäisches Steuersystem, die Ausgabe von Euro-Bonds sowie ein Finanzministerium für die Euro-Zone. Man muss aber noch weiter gehen: die allgemeine, direkte Wahl eines Präsidenten der Europäischen Union, eine stärkere Kontrolle der nationalen Haushalte durch das EU-Parlament und eine entschlossene Industriepolitik als Gegengewicht zur Politik der Konkurrenz. Dafür braucht es zweifelsohne eine neue Generation von Führungskräften. In diesem Sinne ist die Entscheidung von Standard & Poor’s heilsam.

    Übersetzung aus dem Französischen.

    von Alexandre Kateb

    23.01.2012


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    Les informations commencent à filtrer sur les nouveaux stress tests bancaires auxquels devraient être soumises les banques européennes dans le courant de l'année. Et autant le dire tout de suite, dans leur forme actuelle ces nouveaux stress tests ne sont pas à la hauteur des enjeux et pourraient bien faire "pschitt" comme ce fut le cas des stress tests de juillet 2010.  

    Selon un document de l'Autorité bancaire européenne (EBA), les nouveaux stress tests devraient soumettre les banques à un choc macroéconomique d'ampleur limitée comprenant une contraction de 0,5% du PIB de la zone euro en 2011 et une chute de 15% des marchés actions. Il n'est pas question d'envisager le défaut d'un état sur sa dette souveraine, ou une restructuration ordonnée de cette dette, même si ce scénario semble inévitable à plus ou moins brève échéance, comme en Grèce.

    Dans un article publié dans le numéro de février de la Revue Banque, j'avais exposé mes idées sur les meilleures pratiques en matière de macro stress tests bancaires, et j'avais analysé les raisons pour lesquelles les stress tests européens de 2010 n'avaient pas rempli leur mission principale, à savoir tester la résistance du système bancaire à un choc systémique, et s'assurer de la solvabilité des banques européennes en mesurant l'adéquation de leurs fonds propres aux risques encourus.

    Ainsi, les tests réalisés en 2010 n'intégraient pas l'effet d'un retrait des aides publiques consenties à ces banques en période de crise. Sans ces aides, un certain nombre d'établissements financiers en Espagne, en Allemagne ou au Royaume-Uni n'auraient sans doute pas passé la barre des tests et auraient fait apparaître un besoin de recapitalisation conséquent. Sans parler des banques irlandaises qui étaient déjà en situation de quasi faillite avant la réalisation de ces stress tests.

    En outre, la crise a fait apparaître la centralité du risque de liquidité dans le déclenchement des crises bancaires. Nous sommes passés en un quart de siècle des vieilles paniques bancaires liées au retrait en masse des dépôts par les individus - aujourd'hui éradiquées grâce aux systèmes de garantie des dépôts mis en place partout dans le monde - à des crises de liquidité autrement plus dévastatrices liées au gel du marché interbancaire, et à une brusque dégradation du collatéral utilisé sur ce marché (titres souverains ou titres hypothécaires).  

    Or, les stress tests de 2010 tout comme ceux de 2011 - d'après les informations qui nous parviennent aujourd'hui -, n'intègrent pas ce phénomène d'assèchement de la liquidité interbancaire en période de crise. Les régulateurs préfèrent traiter ce problème à part, à travers les nouveaux coefficients de liquidité prévus dans Bâle III , oubliant qu'un risque d'illiquidité sur le marché interbancaire peut vite se transformer en insolvabilité des établissements les plus exposés à ce marché. A force de saucissonner les problèmes et de plaquer une approche réglementaire simpliste sur une réalité complexe, on renonce à développer une stratégie d'ensemble.  

    En effet, l'hypothèse implicite sur laquelle repose la logique de ces "stress tests light" est que la Banque Centrale Européenne sera toujours là pour secourir les banques en situation d'illiquidité, alors même que pour un certain nombre d'entre elles le problème principal est un problème de solvabilité, dont on sait depuis Bagehot qu'il ne peut être réglé simplement par une injection de liquidité à court terme. La démission d'Axel Weber de son poste de gouverneur de la Bundesbank, et son retrait de la course à la présidence de la BCE, n'est sans doute pas étrangère à cette hypothèse implicite qui fait peser un insupportable aléa moral sur le financement des ménages et des entreprises en Europe.  

    Il faut aujourd'hui que les régulateurs bancaires, et plus encore que les responsables politiques européens - car la question n'est plus uniquement d'ordre technique - se saisissent du problème, et renoncent à la politique de l'autruche et à l'aveuglement coupable dont ils font preuve face aux banques zombies. Ces dernières menacent les fondations financières de l'économie européenne et  hypothèquent sa croissance à long terme. On peut encore corriger le tir mais il est urgent d'agir !

    Alexandre Kateb


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  • Cet article a été publié sous le titre "L'Espagne est-elle le Dubai de l'Europe" sur Le Cercle Economie des Echos à l'URL suivante.

    Les difficultés s'accumulent sur l'Espagne, confrontée à une dégradation de sa note souveraine par les agences de notation, et à une montée inexorable du chômage. Le miracle espagnol de ces dernières années ressemble de plus en plus à un mirage. Essayons d'y voir plus clair.

    L'Espagne passe du miracle à la crise économique sur fond de dégradation sociale La dégradation de la note souveraine de l'Espagne de AAA à AA+ par l'agence Fitch à la suite de Standard & Poor's peut surprendre. Voilà en effet un pays dont la dette publique était inférieure à 60% du PIB en 2009 alors que le seuil acceptable pour un AAA est de 70% du PIB. A titre de comparaison la dette française atteignait 77% du PIB en 2009. L'explication est donc à chercher ailleurs. En l'occurence un premier élément de réponse est fourni par l'examen du solde primaire du budget (écart entre les recettes et les dépenses avant paiement des intérêts sur la dette). De ce point de vue là, l'Espagne se distingue clairement du club des pays à AAA même de ceux pour lesquels la conservation du fameux AAA risque d'être "tendue" comme le disait récemment François Baroin.

    Le solde primaire espagnol avoisine les -10% du PIB contre -5% pour la France et un solde en deçà de -1% pour l'Allemagne et l'Italie, celle-ci étant néanmoins classée dans le camps des PIIGS par les marchés financiers. Pourtant rien ne prédisposait l'Espagne à une telle contreperformance si l'on en juge par la discipline fiscale exemplaire maintenue au cours de la période d'expansion 2000-2007 pendant laquelle le pays dégageait un confortable surplus primaire (jusqu'à un record de 3,5% en 2007 avant la crise financière), une situation que la France n'a connue que de manière très courte entre 1999 et 2001 !

    Si on analyse les causes de cette dégradation soudaine du solde primaire, on s'aperçoit que l'explication tient à la fois à une baisse significative des recettes et à une explosion des dépenses publiques rapportées au PIB. On retrouve cet "effet ciseaux" dans les autres PIIGS à l'exception notable de l'Italie (voir à ce sujet l'étude sur les PIIGS de COMPETENCE FINANCE). Le différentiel de 10 points entre les recettes et les dépenses est apparu en seulement deux ans (2008-2009) ! On a eu d'un côté une montée rapide du chômage auquel le gouvernement a du faire face en lançant un programme d'emplois publics et une aide d'urgence pour les demandeurs d'emploi, y compris pour les nombreux précaires peu ou pas indemnisés. Cela s'est traduit par une augmentation des dépenses publiques de 6% du PIB. De l'autre côté, on constate une réduction massive des recettes fiscales (-4% du PIB) notamment celles assises sur une base fiscale volatile (plus-values immobilières et financières). On assiste bien au dégonflement d'une bulle économique et financière et cela se reflète sur les comptes publics comme l'a bien compris Fitch qui fonde sa décision de dégrader la note espagnole sur le caractère laborieux du redressement économique dans les années à venir.

    En prenant un peu plus de recul on peut se demander si l'Espagne de Zapatero ne s'est pas prise pour l'émirat de Dubai. On y observe la même euphorie pendant les années de boom qui génère une pénurie de main d'oeuvre et se traduit par le taux d'immigration le plus élevé d'Europe après l'Irlande. A l'instar de Dubai devenu en quelques années le hub capitalistique et humain du Moyen-Orient. On y trouve la même précipitation à investir dans la construction et l'immobilier et à multiplier les "projets de prestige" dans un pays qui a soif de rattraper son retard et qui affiche une vitalité irrepressible. Cette frénésie d'investissement dans un secteur improductif a été facilitée par des taux de crédit étonnamment faibles qui ne reflétaient pas la prime de risque réelle sur ces projets. Cet argent facile s'explique dans le cas espagnol par la convergence spectaculaire apparue au début des années 2000 entre les taux d'intérêt des différents pays de la zone euro. A Dubai c'est l'alignement de la monnaie locale sur le dollar US et le recyclage des pétro-dollars du Moyen-Orient qui ont produit les mêmes effets. 

    Mais cette convergence était purement nominale car l'adhésion à l'euro a impliqué le renoncement de l'Espagne à une politique monétaire et à une politique de change indépendantes, accentuant les déséquilibres macroéconomiques latents. L'inflation s'en est trouvée fortement stimulée, amplifiant "l'effet Balassa-Samuelson" en vertu du quel les prix croissent naturellement plus vite dans les pays en phase de rattrapage économique. Ainsi même si le coût réel du travail n'augmentait pas - il a même baissé de 5% par rapport à la moyenne de la zone euro sur la période 2000-2007, contrairement à l'Irlande ou à l'Italie - le coût nominal du travail a bel et bien augmenté a mesure que l'écart d'inflation se creusait. L'Espagne a ainsi "subi" une perte de compétitivité due à sa perte de souveraineté monétaire et à des taux d'intérêt trop bas autant qu'elle en a profité pour doper artificiellement sa croissance.

    En outre, le caractère dual du marché de l'emploi, avec d'un côté des fonctionnaires et des salariés en CDI "fonctionnarisés" et de l'autre côté des précaires en nombre toujours plus grand (femmes, immigrés, jeunes avec ou sans diplôme), s'est amplifié au cours des années 2000. Toutes les tentatives pour venir à bout de ce dualisme - qui existe à des degrés divers dans tous les pays latins de l'Europe, y compris en France - ont achoppé sur l'opposition farouche des syndicats contre la remise en cause des acquis sociaux. Le gouvernement Aznar avait contourné le problème en créant un marché de l'emploi parallèle sur le mode thatchérien, sans réformer le marché "officiel". José Luis Zapatéro a choisi quant à lui d'ignorer le problème jusqu'à ce que la crise le rattrape. Contrairement à Gerhard Schröder dont les réformes courageuses en Allemagne (Agenda 2010) ont valu à son camps de perdre les élections législatives anticipées de 2005, Zapatero a été réélu en 2008 sur la base d'un programme consensuel qui ne s'attaquait pas aux problèmes structurels de l'économie espagnole.

    Ce marché de l'emploi dual a incontestablement facilité le boom de la construction alimenté par le crédit bon marché. Ce sont là les trois piliers du "miracle espagnol" aujourd'hui assimilé à un mirage par une grande partie de la population, à un moment où le taux de chômage - qui avait été réduit de moitié par le gouvernement Aznar - est remonté en flèche et devrait dépasser les 20% de la population active d'ici fin 2010.

    Tout n'est pas à jeter bien sûr dans le modèle espagnol, et notamment l'accent mis sur les énergies renouvelables qui donne aujourd'hui à l'Espagne un leadership européen en la matière. Mais la phase d'assainissement et de restructuration qui s'amorce devra provoquer un réexamen sans concession du modèle économique et une réorientation des énergies du pays - humaines cette fois-ci - vers l'innovation et la restauration de la compétitivité. Aujourd'hui, l'Espagne a le choix entre devenir une Californie high tech européenne ou un shopping center géant à la manière de Dubaï. Mais cette dernière option semble de moins en moins réaliste, car si Dubaï peut compter sur les largesses de son grand frère Abu Dhabi, riche en pétrole, l'Espagne a épuisé la patience des autres Etats européens - notamment de l'Allemagne - et le temps des aides structurelles est révolu. Les Espagnols sauront-ils faire le bon choix ? Tout le débat est là.


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  • Les turbulences qui se sont accentuées sur les marchés financiers durant la première semaine de mai - alors que l'acte « salvateur » de la crise grecque se jouait à Bruxelles - ont fait beaucoup penser aux événements de l'automne 2008. On a beaucoup parlé à cette occasion d'un retour de ce fameux « risque systémique » qui avait plongé la planète dans le chaos et le désarroi après que les autorités américaines de l'époque aient jugé inutile de voler au secours de la banque d'investissement Lehman Brothers, provoquant ainsi une vague de dislocations financières sans précédent.

    La réapparition de tensions sur les marchés interbancaires et la hausse de la volatilité sur les bourses mondiales qui ont accompagné les différents épisodes de la crise grecque (et des secousses secondaires portugaise et espagnole), jusqu'au point culminant du vendredi 7 mai présentent en effet des analogies frappantes avec la situation d'octobre 2008. Même impression de perte de confiance généralisée et même sentiment d'être au bord d'un précipice dont la baisse ininterrompue de l'euro constituait le marqueur. Mêmes soupçons sur les spéculateurs qui manipulent les marchés à l'abri de leurs dark pools opaques, multipliant à l'infini les transactions de gré à gré à la traçabilité quasi nulle.

    Il aura fallu un ultime sursaut des grands dirigeants européens pour mettre fin à cette situation explosive et éviter le pire, au besoin en rompant avec l'orthodoxie comme en témoigne la décision de la BCE de racheter une partie de la dette des Etats les plus fragiles. Les Européens ne faisaient rien d'autre que ce que les Américains avaient déjà fait en octobre 2008 en lançant à l'époque un plan de 700 milliards de dollars d'aide au secteur financier (le TARP) et en faisant jouer à la Réserve Fédérale un rôle de prêteur en dernier ressort, y compris sur la dette souveraine.

    A la peur du précipice succède aujourd'hui le soulagement et la conscience du devoir bien accompli. Pourtant le plan anti-crise européen n'a pas complètement réussi a éteindre l'incendie si on en croit la poursuite de la baisse de l'euro, même si celle-ci est aussi imputable aux mauvaises perspectives de croissance, encore plus assombries par les plans de rigueur annoncés par les différents Etats de la zone dans une surenchère verbale à vocation incantatoire.

    Mais qu'est ce qui fait donc courir les marchés ? Tels ces ogres de la mythologie grecque ils ne semblent jamais satisfaits des sacrifices humains – au sens littéral du terme - toujours plus importants qui leurs sont consentis, au nom de la sacrosainte rationalité économique. Tout cela semble incompréhensible aussi bien pour les profanes que pour les hommes politiques et les économistes traditionnels plus habitués à commenter les chiffres trimestriels de l'investissement et de la consommation qu'à déchiffrer les algorithmes des automates de trading qui réalisent aujourd'hui entre 30% et 50% du volume des transactions sur les marchés.

    Derrière ces machines froides, il y a néanmoins des hommes, de ceux que les anthropologues comme Paul Jorion étudient. Ceux que l'on appelle les traders. Des hommes à la psychologie complexe mais qui sont mus essentiellement par deux passions dans leur activité quotidienne : l'avidité et la peur. L'avidité qui pousse à l'excès, à la démesure, à l'hybris. La peur qui réfrène, qui rappelle à l'ordre, qui impose un stop loss, autrement dit une limite à la prise de risque.

    Dès lors on peut s'interroger sur la rationalité des marchés avec de tels argonautes aux commandes. On peut y renoncer et chercher uniquement à les contrôler, selon l'adage « Ultima ratio regum » (la raison des rois prévaut), mais on peut aussi essayer de pousser l'analyse un peu plus loin. C'est ce que tente de faire une branche de l'économie qui suscite aujourd'hui un intérêt d'autant plus marqué qu'elle a fait l'objet d'un superbe mépris au cours des dernières décennies. A savoir l'économie financière, et plus particulièrement l'une de ses subdivisions les moins connues, la microstructure des marchés financiers.

    Pour comprendre les récentes turbulences de marché, il faut alors se plonger dans un article académique coécrit par Stephen Morris professeur à Princeton et Hyun Song Chin de la London School of Economics et publié en 2003 sous le titre évocateur : Liquidity black holes. C'est à dire : « les trous noirs de la liquidité ». Dans cet article ces deux économistes montrent de manière assez convaincante qu'un marché peut s'effondrer selon un processus complètement endogène en présence d'une incertitude suffisamment forte. Dans ce cas de figure, les traders actifs, qui arbitrent en permanence entre la peur et l'avidité, sont contraints d'adopter un comportement individuellement rationnel même s'ils en perçoivent parfaitement le caractère collectivement irrationnel. L'incertitude déduite de la volatilité des marchés les pousse à orienter toutes leurs transactions dans le même sens provoquant un assèchement soudain de la liquidité et rendant impossible pour les market makers – les teneurs de marché - de jouer leur rôle de réducteurs de la volatilité. C'est une telle configuration qui a semble-t-il été observée dans la première semaine de mai, indépendamment des péripéties de la crise grecque, comme le montre la chute spectaculaire de 1000 points de l'indice américain Dow Jones Industrial survenue le jeudi 6 mai 2010.

    L'intérêt pour les études de microstructure des marchés est très récent même si ces dernières existent depuis les années 1970. Le regain d'intérêt actuel pour ces analyses provient de la jonction que cette théorie microéconomique permet d'opérer avec celle beaucoup plus macroéconomique – ou macro-financière - de risque systémique, qui préoccupe tellement les analystes de marché et les hommes politiques depuis qu'elle a été officialisée au sommet de Pittsburgh en septembre 2009. Or il est vain de vouloir comprendre la notion de risque systémique dans ses manifestations les plus macroéconomiques sans en disséquer les fondements microéconomiques les plus élémentaires.


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  • Mon interview sur la crise grecque par Marie Couturier de A2PRL (ex AFP Radio). Je vous renvoie aux articles de fond écrits précédemment sur le sujet pour une analyse approfondie.

     


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