• L'Espagne du miracle au mirage

    Cet article a été publié sous le titre "L'Espagne est-elle le Dubai de l'Europe" sur Le Cercle Economie des Echos à l'URL suivante.

    Les difficultés s'accumulent sur l'Espagne, confrontée à une dégradation de sa note souveraine par les agences de notation, et à une montée inexorable du chômage. Le miracle espagnol de ces dernières années ressemble de plus en plus à un mirage. Essayons d'y voir plus clair.

    L'Espagne passe du miracle à la crise économique sur fond de dégradation sociale La dégradation de la note souveraine de l'Espagne de AAA à AA+ par l'agence Fitch à la suite de Standard & Poor's peut surprendre. Voilà en effet un pays dont la dette publique était inférieure à 60% du PIB en 2009 alors que le seuil acceptable pour un AAA est de 70% du PIB. A titre de comparaison la dette française atteignait 77% du PIB en 2009. L'explication est donc à chercher ailleurs. En l'occurence un premier élément de réponse est fourni par l'examen du solde primaire du budget (écart entre les recettes et les dépenses avant paiement des intérêts sur la dette). De ce point de vue là, l'Espagne se distingue clairement du club des pays à AAA même de ceux pour lesquels la conservation du fameux AAA risque d'être "tendue" comme le disait récemment François Baroin.

    Le solde primaire espagnol avoisine les -10% du PIB contre -5% pour la France et un solde en deçà de -1% pour l'Allemagne et l'Italie, celle-ci étant néanmoins classée dans le camps des PIIGS par les marchés financiers. Pourtant rien ne prédisposait l'Espagne à une telle contreperformance si l'on en juge par la discipline fiscale exemplaire maintenue au cours de la période d'expansion 2000-2007 pendant laquelle le pays dégageait un confortable surplus primaire (jusqu'à un record de 3,5% en 2007 avant la crise financière), une situation que la France n'a connue que de manière très courte entre 1999 et 2001 !

    Si on analyse les causes de cette dégradation soudaine du solde primaire, on s'aperçoit que l'explication tient à la fois à une baisse significative des recettes et à une explosion des dépenses publiques rapportées au PIB. On retrouve cet "effet ciseaux" dans les autres PIIGS à l'exception notable de l'Italie (voir à ce sujet l'étude sur les PIIGS de COMPETENCE FINANCE). Le différentiel de 10 points entre les recettes et les dépenses est apparu en seulement deux ans (2008-2009) ! On a eu d'un côté une montée rapide du chômage auquel le gouvernement a du faire face en lançant un programme d'emplois publics et une aide d'urgence pour les demandeurs d'emploi, y compris pour les nombreux précaires peu ou pas indemnisés. Cela s'est traduit par une augmentation des dépenses publiques de 6% du PIB. De l'autre côté, on constate une réduction massive des recettes fiscales (-4% du PIB) notamment celles assises sur une base fiscale volatile (plus-values immobilières et financières). On assiste bien au dégonflement d'une bulle économique et financière et cela se reflète sur les comptes publics comme l'a bien compris Fitch qui fonde sa décision de dégrader la note espagnole sur le caractère laborieux du redressement économique dans les années à venir.

    En prenant un peu plus de recul on peut se demander si l'Espagne de Zapatero ne s'est pas prise pour l'émirat de Dubai. On y observe la même euphorie pendant les années de boom qui génère une pénurie de main d'oeuvre et se traduit par le taux d'immigration le plus élevé d'Europe après l'Irlande. A l'instar de Dubai devenu en quelques années le hub capitalistique et humain du Moyen-Orient. On y trouve la même précipitation à investir dans la construction et l'immobilier et à multiplier les "projets de prestige" dans un pays qui a soif de rattraper son retard et qui affiche une vitalité irrepressible. Cette frénésie d'investissement dans un secteur improductif a été facilitée par des taux de crédit étonnamment faibles qui ne reflétaient pas la prime de risque réelle sur ces projets. Cet argent facile s'explique dans le cas espagnol par la convergence spectaculaire apparue au début des années 2000 entre les taux d'intérêt des différents pays de la zone euro. A Dubai c'est l'alignement de la monnaie locale sur le dollar US et le recyclage des pétro-dollars du Moyen-Orient qui ont produit les mêmes effets. 

    Mais cette convergence était purement nominale car l'adhésion à l'euro a impliqué le renoncement de l'Espagne à une politique monétaire et à une politique de change indépendantes, accentuant les déséquilibres macroéconomiques latents. L'inflation s'en est trouvée fortement stimulée, amplifiant "l'effet Balassa-Samuelson" en vertu du quel les prix croissent naturellement plus vite dans les pays en phase de rattrapage économique. Ainsi même si le coût réel du travail n'augmentait pas - il a même baissé de 5% par rapport à la moyenne de la zone euro sur la période 2000-2007, contrairement à l'Irlande ou à l'Italie - le coût nominal du travail a bel et bien augmenté a mesure que l'écart d'inflation se creusait. L'Espagne a ainsi "subi" une perte de compétitivité due à sa perte de souveraineté monétaire et à des taux d'intérêt trop bas autant qu'elle en a profité pour doper artificiellement sa croissance.

    En outre, le caractère dual du marché de l'emploi, avec d'un côté des fonctionnaires et des salariés en CDI "fonctionnarisés" et de l'autre côté des précaires en nombre toujours plus grand (femmes, immigrés, jeunes avec ou sans diplôme), s'est amplifié au cours des années 2000. Toutes les tentatives pour venir à bout de ce dualisme - qui existe à des degrés divers dans tous les pays latins de l'Europe, y compris en France - ont achoppé sur l'opposition farouche des syndicats contre la remise en cause des acquis sociaux. Le gouvernement Aznar avait contourné le problème en créant un marché de l'emploi parallèle sur le mode thatchérien, sans réformer le marché "officiel". José Luis Zapatéro a choisi quant à lui d'ignorer le problème jusqu'à ce que la crise le rattrape. Contrairement à Gerhard Schröder dont les réformes courageuses en Allemagne (Agenda 2010) ont valu à son camps de perdre les élections législatives anticipées de 2005, Zapatero a été réélu en 2008 sur la base d'un programme consensuel qui ne s'attaquait pas aux problèmes structurels de l'économie espagnole.

    Ce marché de l'emploi dual a incontestablement facilité le boom de la construction alimenté par le crédit bon marché. Ce sont là les trois piliers du "miracle espagnol" aujourd'hui assimilé à un mirage par une grande partie de la population, à un moment où le taux de chômage - qui avait été réduit de moitié par le gouvernement Aznar - est remonté en flèche et devrait dépasser les 20% de la population active d'ici fin 2010.

    Tout n'est pas à jeter bien sûr dans le modèle espagnol, et notamment l'accent mis sur les énergies renouvelables qui donne aujourd'hui à l'Espagne un leadership européen en la matière. Mais la phase d'assainissement et de restructuration qui s'amorce devra provoquer un réexamen sans concession du modèle économique et une réorientation des énergies du pays - humaines cette fois-ci - vers l'innovation et la restauration de la compétitivité. Aujourd'hui, l'Espagne a le choix entre devenir une Californie high tech européenne ou un shopping center géant à la manière de Dubaï. Mais cette dernière option semble de moins en moins réaliste, car si Dubaï peut compter sur les largesses de son grand frère Abu Dhabi, riche en pétrole, l'Espagne a épuisé la patience des autres Etats européens - notamment de l'Allemagne - et le temps des aides structurelles est révolu. Les Espagnols sauront-ils faire le bon choix ? Tout le débat est là.


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