• René Magritte Le fils de l'homme

    Dans un contexte de remise en cause du capitalisme financier traditionnel, l'Investissement Socialement Responsable, qu'on désigne habituellement par son acronyme ISR ou par l'une de ses variantes telles que l'Investissement Durable ou l'Investissement Soutenable, a le vent en poupe. Après une longue période d'indifférence vis-à-vis de ce qu'il faut bien appeler un OFNI (Objet Financier Non Identifié), tous les grands gestionnaires de fonds de la place s'y mettent : fonds ISR monétaires, SICAV "actions durables" , OPCI soutenables, etc.

    De grands gérants institutionnels comme La Banque Postale AM ou Crédit Agricole Asset Management (CAAM) ambitionnent de devenir des leaders en France sur le marché de l'ISR. Des acteurs de petite taille comme l'UFG, filiale de gestion du groupe Crédit Mutuel Nord Europe, jusqu'à présent surtout connue pour son portefeuille d'actifs immobiliers, se glissent aussi dans la brèche et mettent en avant leur offre ISR pour se faire connaître.

    Cet engouement des gestionnaires se répercute mécaniquement sur les courtiers en valeurs mobilières - les brokers - dont le métier consiste à "vendre", au sens propre comme au figuré, les actions et obligations des sociétés cotées. Ainsi, des courtiers indépendants comme Oddo ont très tôt détecté le potentiel que pouvait représenter l'ISR pour doper leur chiffre d'affaires, et ont constitué des équipes dédiées à cette thématique.

    Ils ont été immités peu ou prou par tous les autres courtiers qui basent leur recherche ISR, soit sur des méthodologies propriétaires, donc opaques et difficilement comparables, soit sur des grilles d'analyse issues des agences de notation extra-financière. Ces agences comme VَIGEO, présidée par l'hyper-active ex-secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, constituent en effet le troisième pilier de cet industrie financière naissance.

    L'ISR représente du pain béni pour VIGEO dont l'actionnariat est composé à hauteur de 45% de grands gestionnaires financiers (Caisses d'Epargne, Crédit Agricole Asset Management, Société Générale Asset Management, etc..), à hauteur de 27% de grandes entreprises (on y retrouve les plus grandes valeurs du CAC 40), et à 28% de divers syndicats à tradition réformiste dont fait partie la CFDT. Le tryptique "actionnaire, patron, syndicaliste" et la culture du consensus social, issue du syndicalisme réformiste, fondent ainsi le "business modèle" de VIGEO et lui apportent une certaine légitimité.

    Mais on peut néanmoins s'interroger sur l'indépendance réelle de cette agence vis-à-vis de ses actionnaires puissants qui sont, par la force des choses, aussi ses grands donneurs d'ordres. Quelle crédit accorder à un rapport élogieux sur TOTAL lorsque l'on sait que le groupe pétrolier est l'un des actionnaires ? Que vaut le label VIGEO apposé sur un fonds ISR promu par CAAM ou SGAM également actionnaires de l'agence ? La crise des subprimes a montré les limites des agences notation payées par les entreprises qu'elles sont censées noter, et a mis à jour leur responsabilité, ou plutôt leur irresponsabilité flagrante, pour avoir formulé des jugements à l'emporte-pièce sur des actifs financiers qui se sont révélés pourris.

    L'ISR soulève aussi d'autres problèmes encore plus génants. Personne n'est vraiment capable de fournir une définition rigoureuse de cette approche ou "philosophie" de gestion pour la bonne et simple raison qu'il n'en existe pas. A la base, l'ISR repose sur une sélection de valeurs (actions, obligations) fondée sur des critères extra-financiers supposés apporter un "supplément d'âme" : valeurs sociales, environnementales et de bonne gouvernance. Mais il n'existe pas de méthodologie universellement admise - contrairement aux labels qualité ISO par exemple - pour qualifier le bon respect par l'entreprise émettrice de ces différents critères, et surtout pour apprécier la pondération et la hiérarchie des différents critères au sein d'une note globale. Les Suisses privilégient ainsi depuis longtemps les critères liés à l'environnement sans se soucier outre mesure de la politique sociale de l'entreprise. A l'inverse, les anglo-saxons mettent surtout l'accent sur la "corporate governance" ou gouvernance d'entreprise à travers la mise en place de comités d'audit et de rémunération indépendants. Enfin, en France, on accorde traditionnellement plus d'importance aux critères sociaux, surtout depuis la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) de 2001 qui impose aux entreprises cotées de publier un rapport social et environnemental. Au niveau international une réflexion a bien été engagée, notamment par l'ONU et ses diverses agences spécialisées, pour apporter un peu plus de clarté dans ce "flou artistique". Mais rien de concret n'en est sorti, les grands lobbys financiers voyant d'un mauvais oeil la définition d'un standard ouvert et transparent, équivalent pour la finance aux logiciels libres de l'informatique, qui remettrait en cause le bien fondé des commissions parfois exorbitantes demandées aux épargnants en échange d'une supposée expertise. Un autre symptôme du manque de maturité de l'ISR est l'accent mis par les promoteurs des fonds tantôt sur la valeur éthique de la démarche, - le fameux "supplément d'âme" -, tantôt sur l'hypothétique surplus de performance financière généré à plus ou moins long terme par les fonds labellisés ISR.

    Comme le montrent bien Jacques Crémer et Christian Gollier, chercheurs en économie à l'Université de Toulouse, dans un récent point de vue publié par le journal Les Echos, "ce double discours, à la fois utopiste et vénal, trouble les épargnants dont les motivations altruistes sont contrées par la publicité sur la surperformance alors que cette dernière cherche à flatter les motivations opportunistes des autres". Les gestionnaires ne savent plus sur quel pied danser pour vendre leur fonds ISR, au risque d’étouffer cette nouvelle poule aux oeufs d'or. D'autant que d'après les études académiques les plus sérieuses, - voir à ce sujet, Investing in Socially Responsible Funds de Christopher Geczy, Robert Stambaugh et David Levin (2003) et The price of Ethics : Evidence from Socially Responsible Mutual Funds de Luc Renneboog, Jenke Horst, Chendi Zhang (2007) – l’investissement socialement responsable, ou durable, a bel et bien un coût en terme de moins-value financière par rapport à un investissement dans un fonds classique.

    Ce coût peut même atteindre jusqu’à 5% de rendement en moins par an. Cette analyse succinte montre qu’il faut sortir d’une certaine forme d’hypocrisie par rapport au prix réel qu’on attache aux critères extra-financiers et à un modèle de croissance économique durable, fondé sur des considérations qualitatives plus que quantitatives. On ne sortira du paradoxe de l’ISR qu’en attribuant une valeur – donc un prix - à des critères tels que la qualité de la vie, la solidarité inter-générationnelle ou la limitation de l’utilisation des ressources naturelles. L’ISR ne s’imposera vraiment dans le portefeuille des épargnants que quand il aura réussi sa mue et qu’il aura gagné le cœur et la raison des citoyens. Il aura alors imprégné complètement tout la sphère économique et financière et il n y aura plus de raison pour attribuer une rémunération supplémentaire - autrement dit un surprofit - à un gestionnaire d’actifs en échange d’une expertise particulière sur ce thème. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes de l’ISR : sa généralisation devrait conduire inexorablement à sa disparition, dans un processus de destruction créatrice finalement très caractéristique de l’économie capitaliste !


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  • Peer Steinbrück, l'emblématique ministre des finances allemand a laissé entendre que c'était aux actionnaires de supporter le poids des actifs toxiques accumulés par les banques. L'Etat ne prendrait en charge que les actifs considérés comme illiquides mais qui ne seraient pas définitivement compromis.

    Cette distinction faite entre actifs toxiques et actifs illiquides illustre bien l'incapacité de certains responsables politiques à tirer toutes les leçons de la crise financière.

    La valeur d'un actif financier, comme celle de tout autre bien, est avant tout fixée par la rencontre d'un vendeur et d'un acheteur sur un marché. L'absence de marché transforme vite un actif illiquide en actif toxique. Ainsi, la banque américaine Lehman Brothers a fait faillite en quelques jours seulement à la suite de problèmes de refinancement apparus sur son énorme ardoise d'actifs, détenus en garantie contre des prêts financiers accordés à des banques ou à des hedge funds. Les actifs illiquides se sont vite transformés en actifs toxiques.

    De fait, si la crise financière a révélé le risque de crédit incommensurable porté par les actifs adossés à des titres hypothécaires américains, elle a aussi et surtout mis en évidence le risque de liquidité associé à tout actif, toxique ou non, à partir du moment où un doute s'installe sur la valeur réelle de celui-ci et que le marché s'évapore.

    Comme le montre très bien Markus Brennermeier, professeur d'économie à l'université de Princeton, dans un papier qui devrait faire date, le risque de liquidité associé à des actifs financiers est intrinsèquement lié au risque de refinancement de ces actifs. Il suffit de fermer le robinet du crédit pour que le risque de liquidité augmente de manière exponentielle, et que les prix des actifs concernés s'écartent durablement de leur valeur fondamentale.

    Dans un contexte où on ne connait même pas la valeur fondamentale des titres, comme c'est le cas pour les RMBS et autres CDOs adossés à des titres hypothécaires - le seul modèle disponible, basé sur la théorie de la copule gaussienne, ayant été invalidé - la distinction entre actifs toxiques et actifs illiquides devient purement rhétorique.

    C'est pourquoi il est aberrant de vouloir séparer le bon grain de l'ivraie au motif de punir des banquiers voyous. L'intention peut sembler louable dans un monde idéal où économie et justice vont de pair, mais cette vision "morale" ne cadre malheureusement pas avec le fonctionnement des économies hyperfinanciarisées dans lesquelles nous vivons.

    Depuis Bagehot, nous savons en effet que la théorie de l'aléa moral ne résiste pas aux impératifs de l'action publique lorsqu'il y a un risque systémique important. C'est le cas aujourd'hui dans la finance mondiale. Et ça l'est encore plus en Allemagne où le système bancaire souffre d'un véritable archaïsme derrière la façade lisse du modèle rhénan, dont on nous a longtemps vanté les mérites.

    Si les grandes banques commerciales à vocation internationale comme la Deutsche Bank ou la Commerzbank ont toutes subi des pertes importantes avec la crise financière, ce qui est plus grave, c'est que certaines banques régionales, ces fameuses Landesbanken qui jouent un rôle clé dans le système bancaire allemand, - entre les banques commerciales et les caisses d'épargne - ont usé et abusé des actifs toxiques qu'elles ont emballé dans des véhicules hors bilan et packagé sous forme de fonds monétaires dynamiques.

    C'est précisément parce que les marges étaient faibles sur les métiers traditionnels des Landesbanken (prêts aux collectivités locales, refinancement des caisses d'épargne, soutien au logement et à l'industrie régionale), dans un système corseté de conflits d'intérêt en tous genres et soumis aux ingérences politiques, que ces banques publiques ont commencé à développer des activités de marché, dans les années 1990-2000, afin de dégager une rentabilité plus importante.

    Contrairement au système bancaire français ou toutes les institutions sont placées sous la supervision d'un régulateur unique, quel que soit leur statut juridique, le système des Landesbanken est caractérisé par une gouvernance qui fait la part belle aux instances politiques des Lander, comme en Bavière où la BayernLB a été longtemps considérée comme la caisse de résonance de la CSU, recyclant ses cadres dirigeants et secondant fidèlement ses objectifs politiques.

    Il est grand temps de remettre de l'ordre dans ce système bancaire. Et s'il faut mettre 200 ou 300 milliards d'euros sur la table, le réaliste Steinbrück devra s'y résoudre. Une Bad Bank chargée d'épurer les actifs toxiques est nécessaire mais non suffisante. Il faudra également une réorganisation de l'ensemble du système. A défaut, les banques allemandes risquent de se transformer en zombies dans un scénario qui rappelle étrangement le Japon des années 90.

     

    Carte des Landesbanken allemandes


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  • J'avais estimé il y a quelques semaines que les actifs toxiques portés par les grandes banques américaines et européennes seraient sensiblement révisés à la hausse pour atteindre 3000 à 4000 milliards d'ici la fin de l'année. Le Times révèle les nouvelles estimations du FMI qui devraient être confirmées d'ici au 21 avril. Elles s'avèrent conformes à mes propres estimations puisque le montant des actifs toxiques portés par les banques US serait estimé par le FMI à 3100 milliards de dollars (contre une prévision de 2200 milliards en janvier), et les actifs portés par les banques européennes seraient dépréciés de 900 milliards de dollars. Le total atteint donc 4000 milliards de dollars. Cette information a été reprise par toute la presse nationale et internationale ce matin.

    Ce chiffre de 4000 milliards pourrait encore être révisé à la hausse si la récession mondiale s'installait durablement. A ce propos, il n'est pas vain de rappeler que la récession actuelle est très différente des récessions précédentes. C'est une crise du crédit qui a provoqué la récession actuelle. Par conséquent, la sortie de la récession ne pourra se faire que si la pompe du crédit s'enclenche à nouveau quand la confiance des entreprises et des ménages reviendra (lire à ce propos l'excellente analyse de Roger Altman dans le Financial Times). Or dans le contexte actuel d'accumulation des pertes et de dépréciations d'actifs dans les bilans bancaires - la tendance étant clairement à l'aggravation - on ne voit pas bien comment le crédit pourrait repartir à la hausse, tant que le problème n'est pas traité à la source. Même en 2010 si reprise il y a, celle-ci serait de toute évidence très fragile. On risque d'avoir un scénario en W (reprise puis rechute) comme en 1980-1982, surtout si les menaces de retour de l'inflation se confirment. 

    La question du nettoyage des actifs toxiques portés par les banques, - qui n'a même pas été effleurée au G20 à Londres -, devrait donc revenir au centre des priorités politiques. Tous les plans de relance du monde ne suffiront pas à relancer l'économie mondiale si le secteur bancaire n'est pas restructuré. A défaut, le monde pourrait s'enliser dans une récession durable, et toute amorce de reprise serait vite cassée.


     


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  • J'ai été un peu sévère dans mon précédent article sur le sommet du G20 à Londres. Je reconnais avoir sous-estimé la détermination des participants à parvenir à un accord, même au prix de compromis arrachés à la dernière minute. L'histoire dira qui a forcé la main à qui. Mais la posture de Nicolas Sarkozy qui a menacé de quitter la table des négociations a sans doute permis de rééquilibrer la balance au dernier moment, en remettant des éléments sur la régulation financière dans le texte final du communiqué - alors que les anglo-saxons auraient sans doute préféré un simple renvoi à des documents techniques joints en annexe.

    Barack Obama a eu à coeur de ne pas froisser ses partenaires européens, en concédant des modifications sur la forme. Il a convaincu les Chinois de ne pas bloquer la publication d'une liste de l'OCDE sur les centres offshore non coopératifs, alors que ces derniers avaient menacé d'opposer leur véto, au motif que Hong Kong et Macao pourraient être visés. Cette liste, ou plutôt ces trois listes qui classent les centres offshore par degré de coopération, constituent la seule véritable mesure médiatique du sommet en matière de régulation financière.  

    Pour le reste, je ne vais pas faire l'inventaire des mesures technique citées dans le communiqué, et qui avaient déjà fait pour la plupart l'objet d'un large consensus. Il s'agit essentiellement de modifier les normes prudentielles (Bâle II) pour tenir compte des effet du cycle économique sur les bilans des banques, selon un principe de bon sens : accumuler des réserves pendant les beaux jours pour mieux faire face aux mauvais jours. En outre, il s'agit de modifier les règles comptables en amendant la fair value pour mieux tenir compte du caractère illiquide de certains actifs, et en facilitant le transfert d'actifs du portefeuille de négociation vers le portefeuille d'investissement, pour lequel c'est la comptabilité au coût historique qui s'applique.

    On pourra également souligner la volonté de renforcer le Forum de Stabilité Financière (FSF), un "machin" créé en 1997-1998, après la crise asiatique et la faillite du fonds spéculatif LTCM, pour surveiller le risque systémique, mais qui s'est contenté jusqu'à présent d'être un organisme technique sans véritable poids politique. Pour avoir participé à la préparation de réunions de ce Forum, j'ai surtout pu mesurer le caractère suranné des débats, toujours en retard d'une crise sur les apprentis sorciers de la finance, comme l'a montré la crise des subprimes. La logique gradualiste qui vise à faire passer un machin sans substance à une organisation internationale avec un vrai pouvoir de décision risque de montrer ses limites rapidement. D'autant que le FSF émet seulement des recommandations et non des règles "en dur". Au lieu de multiplier les structures, il aurait mieux fallu renforcer le FMI en intégrant la régulation macro-prudentielle à ses missions, ou en donnant plus de poids à la Banque des Réglements Internationaux (BRI), la "banque des banques centrales", qui assure le secrétariat du Forum. 

    Quant à la recapitalisation des banques et au nettoyage des actifs toxiques, le communiqué ne les mentionnent presque pas. Aucune coordination n'est prévue dans ce domaine. Il n'est pas non plus fait allusion à la création d'un régulateur financier au niveau mondial, mais à un simple dialogue annuel entre régulateurs financiers des différents pays.

    Non, la vraie réussite de sommet est ailleurs.

    Elle est incontestablement liée aux efforts financiers déployés pour relancer l'économie mondiale, à travers les ressources considérables accordées au FMI - le vrai gagnant de ce sommet ! - dont la capacité d'intervention est portée de 250 à 1000 milliards de dollars (en incluant les 250 milliards de droits de tirages spéciaux créées ex nihilo), et dont la mission consiste à apporter de la liquidité aux économies émergentes qui ont le plus souffert de la crise. A cela s'ajoutent 250 milliards de dollars de crédits publics pour le financement du commerce international, qui participent au même objectif : palier la contraction du crédit bancaire privé par des ressources publiques. Là aussi, il ne faut pas y voir un quelconque altruisme, mais une reconnaissance de l'interdépendance  entre les économies développées et les économies émergentes : les secondes font travailler le capital des premières. C'est une logique pragmatique et utilitariste qui prévaut, selon des intérêts réciproques bien compris. Au final, cette injection de liquidité bénéficiera largement aux multinationales des pays développés et à celles de quelques pays émergents aux ambitions croissantes (Chine, Brésil, Corée du Sud, Mexique, ..).

    Les pays pauvres eux méritent bien moins d'égards, puisqu'ils ne contribuent pas à la croissance mondiale. Le communiqué du G20 rappelle bien l'attachement des pays signataires aux Objectifs du Millénaire (réduction de moitié la pauvreté dans le monde d'ici 2015), mais cela fait longtemps que personne ne croît plus à ces objectifs, y compris au sein de l'agence onusienne chargée de superviser les progrès dans ce domaine (voir à ce sujet le dernier rapport d'avancement).    

    Quant à la réforme des institutions financières internationales, FMI et Banque mondiale, qui constituait la première exigence des grands pays émergents, elle se fera, certes, mais à un rythme très lent, qui ne remettra pas fondamentalement en cause la prépondérance des Etats-Unis et de l'Europe dans ces instances (voir la liste des quotes-parts).

    De même, au niveau monétaire, le dollar restera encore longtemps la devise de réserve mondiale, et les propositions russo-chinoises d'une nouvelle monnaie internationale ne rencontreront au mieux, qu'une attention polie. La Chine, qui pourrait prétendre à un rôle plus important au sein du système international, - voire un jour lointain au premier rôle -, reste encore un pays en développement, avec un revenu moyen par habitant de 5000 dollars, contre 25000 aux Etats-Unis. L'empire du milieu est encore beaucoup trop dépendant des exportations et ne propose pas de modèle de civilisation universel capable de susciter un engouement hors de ses frontières, comme l'avait fait l'Union soviétique en son temps, et comme continuent à le faire les Etats-Unis.

    Barack Obama peut afficher un sourire éclatant. Il aura réussi le double pari de faire oublier au monde entier l'unilatéralisme de l'Administration Bush, tout en rassurant les Américains sur leur capacité de leadership mondial. Le sommet du G20 ne déroge pas à cette règle. La grammaire des affaires restera encore longtemps la chasse gardée des Anglo-saxons. Pour le meilleur et pour le pire.


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  •  Le Conseil des Quatre à la Conférence de Paris (1919) : Lloyd George, Vittorio Orlando, Georges Clémenceau, Woodrow Wilson

    "Le sentiment d'une catastrophe imminente dominant la frivolité du spectacle, - la vanité et  la  petitesse de l'homme en face des grands événements, qui s'opposent à lui, - le sens confus et 1'inexistence des décisions, - la légèreté, l'aveuglement, l'arrogance, les cris confus de l'extérieur, - tous les éléments de l'ancienne tragédie y étaient. (..) Les décisions semblaient grosses de conséquences pour l'avenir de l'humanité, et cependant l'air murmurait alentour que le mot ne prenait pas corps et qu'il était vain, sans valeur, sans effet et bien loin de la réalité. On avait fortement l'impression dépeinte par Tolstoï, dans La guerre et la paix, ou par Hardy, dans Chedynastes, d'événements poursuivant leur route vers leur conclusion fatale, sans être influencés ou touchés par la frénésie des hommes d'État réunis."

    Ces propos au caractère prémonitoire sont ceux de John Meynard Keynes dans son livre "Les conséquences économiques de la paix" (1919), dans lequel il dressait le bilan de la Conférence de Paris de janvier 1919 organisée au lendemain de la première guerre mondiale. Gageons qu’ils pourraient tout aussi bien s’appliquer au sommet du G20 qui devrait se tenir à Londres le 2 avril.

    Nous avons déjà fait part de notre scepticisme quant aux résultats de ce sommet dans un précédent article. Le cours des événements et la valse des hésitations et des renoncements ne fait que conforter cette analyse.

    Il y a trois raisons fondamentales qui nous font douter de la réussite de ce G20.

    Premièrement, l’absence d’une vision claire et partagée sur les causes de la crise économique et financière – ou de la Grande Récession, selon l’expression de Dominique Strauss-Kahn – que nous vivons actuellement. 

    Pour les uns, Etats-Unis et Royaume-Unis en tête, c’est une crise de la régulation qui résulte d’un excès de confiance dans la capacité des marchés financiers à s’autoréguler, et d’une défaillance concomitante des autorités de régulation qui ont privilégié le « laisser faire » et qui n’ont pas prêté suffisamment attention aux indicateurs d’alerte, dans le rouge les uns après les autres (excès d’endettement des ménages américains, valorisation excessive de l’immobilier, bulle sur les marchés boursiers développés et émergents, spéculation sur les matières premières, etc.). En somme, une crise de plus qui s’ajoute à toutes celles que le capitalisme a connu depuis deux cent ans, mais qui ne remettent pas fondamentalement en cause les bases idéologiques du système.   

    Pour les autres, Chine et Russie en tête, plus qu’une crise de la régulation c’est une crise financière et monétaire à fort contenu idéologique à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Selon ces pays, nous vivons la fin d’une époque qui a vu l’abandon de la régulation des changes au niveau international, dans les années 70, et l’imposition progressive d’un modèle de pensée néo-libéral dominé par les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, dont la diffusion au reste du monde, assurée par le FMI et la Banque mondiale, s’est accélérée depuis la chute du mur de Berlin. Pour les puissances non occidentales, cette crise, symbolise donc la fin de la Pax americana imposée au monde par l’alliance du dollar  – déclaré, de facto, monnaie de réserve internationale – et de la canonnière, qui s’est illustrée récemment en Irak et qui lorgne maintenant sur l’Iran.    

    L’Europe continentale, avec ses deux puissances moyennes que sont la France et l'Allemagne, traditionnellement en retrait dans la finance internationale et militairement dépendante des Etats-Unis, tente bien de concilier les différents points de vue. Pour faire bonne figure, elle prêche à qui veut l’entendre la nécessité d’une refondation « morale » du capitalisme financier et d’un rééquilibrage des rapports de force économiques mondiaux. Mais sa partition sonne faux en l’absence d’une unité politique digne de ce nom. L’Europe apparaît de plus en plus marginalisée dans le grand enjeu géopolitique du XXIème siècle : la confrontation Chine –Etats-Unis.

    On comprend dès lors que partant d’un diagnostic et d’un agenda propre à chaque pays ou groupe de pays, il ne peut y avoir de consensus sur une véritable refondation du système financier international.

    Deuxièmement, les solutions avancées par les uns et les autres pour sortir de la crise, sont tributaires d’histoires économiques et de cultures politico- administratives très différentes d’un pays à l’autre.

    Comme l’a très justement fait remarquer Philippe Dessertine dans son essai intitulé « Ceci n’est pas une crise (juste la fin d’un monde) », l’Europe est hantée par le spectre de l’hyper-inflation connue par l’Allemagne dans les années 1930. Les Etats-Unis quant à eux sont surtout focalisés sur le danger de la déflation qui avait fait plonger leur économie dans la Grande Dépression. C’est pourquoi la réponse de la Réserve Fédérale, qui a injecté massivement du cash dans l’économie dès les premières soubresauts de la crise à l’automne 2007, diffère sensiblement de celle de la Banque Centrale Européenne qui, en digne héritière de la Deutsche Bundesbank, a attendu l’automne 2008 pour baisser son taux directeur.

    Une autre différence culturelle marquée existe entre les pays régis par la Common Law (le Royaume-Uni et ses anciennes colonies, dont les Etats-Unis), et les pays régis par le droit civil romain (Europe continentale, Japon, et leur anciennes colonies). Les premiers font beaucoup plus confiance aux contrats et aux conventions, et recourent à une régulation esquissée à coup de grands principes (principles based regulation), qui laisse une grande liberté aux agences indépendantes pour énoncer des règlements, et aux juges pour interpréter la loi. Les seconds ont tendance à vouloir tout réglementer jusque dans les détails les plus contingents. Curieusement, les normes comptables constituent une exception à cette tendance générale, puisque les normes américaines US GAAP, contrôlées par l’Etat, sont beaucoup plus précises que les normes IFRS adoptées par la Commission Européenne, mais contrôlées par un organisme privé, l’IASB. C’est le cas notamment pour la définition de la fair value, aujourd’hui au cœur de toutes les controverses.

    Quoi qu’il en soit, ces différences culturelles se traduisent naturellement par un alignement sur le « moins disant » réglementaire, en l’occurrence sur la « soft law » des pays-anglo-saxons, dont on s’accorde pourtant à dire qu’elle est responsable de la crise, à trop faire confiance aux incitations privées alors que celles-ci étaient viciées. Et tous les « codes de bonne conduite » volontaires ne changeront rien aux problèmes d'aléa moral dont regorge la finance moderne.        

    Troisièmement, ce sommet devrait échouer non parce qu’il manque d’ambition, mais au contraire, paradoxalement, parce qu’il en a trop.

    Comme je l’avait déjà écrit auparavant, les gouvernements ont délibérément fait monter les enchères et le buzz médiatique autour de ce sommet, essentiellement pour des besoins d’affichage électoral. Le G20 est ainsi apparu dans l’esprit du public, au fil des mois et des semaines, comme une sorte de Grand Soir qui permettrait de résoudre l’ensemble des problèmes de la planète, de la crise financière à la crise alimentaire, en passant par la crise énergétique. Les médias ont aussi leur part de responsabilité dans cette affabulation en reprenant le discours officiel, et en occultant les voix discordantes.

    Partant de diagnostics et d’approches culturelles aussi différentes, on ne pouvait déboucher que sur des propositions divergentes.

    Les Américains et, dans une moindre mesure, les Britanniques, mettent l’accent sur la nécessité d'une relance économique coordonnée au niveau international, tout en essayant d'imposer leur propre dogme en matière de réforme financière – axée avant tout sur la recapitalisation bancaire et le containment des actifs toxiques. Mais le discours sur la relance mondiale s’apparente, en filigrane, à une manoeuvre de diversion pour préserver la compétitivité de leur industrie financière d'un excès de zèle réglementaire. En recadrant le Congrès sur la question des bonus des dirigeants de banques et des traders, Barack Obama ne dit pas autre chose. 

    Les Européens, emmenés par la France et l’Allemagne, veulent quant à eux renforcer drastiquement les contrôles sur les acteurs de la finance mondiale, tout en limitant leurs engagements budgétaires. En montrant du doigt les hedge funds et les paradis fiscaux, ils répondent opportunément à une demande de leurs opinions nationales, mais ils s’exonèrent d’une réflexion plus profonde sur les insuffisances de la régulation financière européenne.

    Les uns et les autres sont accusés d’égoïsme et de vision à court terme par les puissances émergentes comme la Chine et la Russie qui préconisent un Bretton Woods II, avec une nouvelle monnaie internationale de réserve, une véritable repondération des voix au FMI et la création de nouvelles agences internationales. Ce dont les Américains et le Européens ne veulent pas, tant pour des raisons stratégiques que budgétaires.

    En conclusion, il n’est pas difficile de voir que le sommet du G20 sera victime des ambitions démesurées qu’il suscite, des cultures et des visions du monde fondamentalement divergentes de ses participants. L'échec de la Conférence de Paris en 1919 était patent. Et seul un sentiment d’urgence comme celui qui prévalait au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec le péril communiste et la décolonisation, avait abouti à une véritable refondation du système international en 1945. Soixante ans plus tard, la donne a radicalement changé, les pays occidentaux n’ont plus les clés de la croissance mondiale. Mais ils disposent encore de ressources suffisantes pour bloquer toute mutation profonde du système. Comment expliquer sinon que la quote-part de la Chine au FMI soit égale à celle de la Belgique  ?

     

     


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