• On n'a jamais autant parlé de la finance islamique et de l'émirat de Dubai qu'au cours de ces derniers jours. Que n'a-t-on pu dire sur l'affaire Dubai World, assimilée par certains au Lehman Brothers de la finance islamique !

    S'il est vrai que l'annonce d'un défaut de paiement sur les obligations "islamiques" - les fameux sukuks - du promoteur immobilier Nakheel, l'une des plus importantes filiales de la holding Dubai World, a fait trembler les marchés dans les jours qui ont suivi cette annonce, la réaction a été largement surfaite par rapport à l'épiphénomène constitué somme toute par cet incident de paiement, qui porte à peine sur quelques milliards de dollars. Une goutte d'eau en comparaison des centaines de milliards d'engagements portés par Lehman Brothers avant sa chute.

    Ce qui a fait trembler les marchés c'est plutôt la crainte de voir d'autres cadavres sortir du placard alors que la crise financière semblait déjà derrière nous. Une fois passés la stupeur et les quelques tremblements initiaux, la plupart des grandes bourses sont d'ailleurs repassées en mode positif.

    Mais loin du brouhara des médias et des experts auto-proclamés, l'affaire Dubai World montre combien la finance islamique repose sur des fondations fragiles. A fortiori lorsque ces fondations sont utilisées pour réaliser des projets pharaoniques à la viabilité économique plus que douteuse.

    Cette finance halal qui prohibe l'intérêt et qui condamne la spéculation - du moins sur le papier - avait bénéficié jusqu'à présent d'un état de grâce lié à son caractère exotique et aux opportunités juteuses qu'elle semblait offrir. Cet état de grâce est désormais terminé. La finance islamique devra faire son aggiornamiento. Elle devra abandonner le discours très "marketing" égrainé à longueur de colloques et de conférences, pour se recentrer sur l'essentiel.

    Elle doit faire face à un certain nombre de problèmes que la crise dubaiote a mis à jour :

    1. L'absence de culture du risque qui conduit à des dérives en l'absence de gardes fous réglementaires et de procédures de contrôle clairement établies

    2. La dépendance excessive vis-à-vis de certains secteurs comme l'immobilier et la construction, au caractère notoirement cyclique.

    3. La faible technicité des "sharia boards" qui les empêchent d'émettre un avis informé sur le caractère toxique de certains montages, hâbilement dissimulés sous un voile "sharia compliant"

    4. L'insécurité juridique liée aux montages de finance islamique en l'absence de cas suffisants de défaillance traités par les tribunaux, et en raison de la faible protection dont bénéficient les investisseurs privés dans les pays islamiques

    5. Le manque de standardisation des instruments financiers utilisés et le caractère embryonnaire des outils de couverture et de gestion de la liquidité. Le refus de la spéculation a conduit par une sorte d'amalgame au refus des ces outils de gestion des risques.

    A l'heure où les législateurs français doivent décider de la place accordée à la finance islamique dans le paysage français, il leur faudra tirer toutes les conséquences de cette crise, en réaffirmant la primauté du droit français sur le droit islamique, notamment en matière contentieuse. Le droit islamique repose en effet beaucoup plus sur des procédures d'arbitrage et de conciliation que sur un réglement contentieux. Or, en cas d'échec des procédures non contentieuses, les investisseurs n'ont d'autres choix que de se tourner vers les tribunaux. Avec la probabilité très forte de se voir alors opposer une fin de non recevoir, comme à Dubai.

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • Il y a un an la planète financière était en pleine effervescence. On assistait à la faillite de l'une des plus grandes banques d'investissement au monde, Lehman Brothers, au sauvetage in extremis de la plus grande compagnie d'assurance au monde, AIG, et à la chute des marchés - toutes classes d'actifs confondues - dans un contexte de montée générale de l'aversion pour le risque et d'évaporation soudaine de la liquidité.

    La notion de risque systémique, qui n'était jusque là qu'un concept théorique prétexte à des études savantes par d'obscurs universitaires, devenait une réalité. On se passait en boucle les images en noir et blanc de la Grande crise de 1929, et on faisait des parallèles entre la faillite de Lehman Brothers en 2008 et la chute de la Knickerbocker Trust Company en 1907, prélude à une grande panique bancaire aux Etats-Unis. Même la chute du fonds spéculatif LTCM (Long Term Capital Management) en 1998 faisait désormais pâle figure à coté du détonateur Lehman qui menaçait de faire imploser l'ensemble du système économique et financier mondial.

    C'était il y a un an. Cela semble pourtant très lointain aujourd'hui. Une autre époque pour ainsi dire. La faillite de la banque américaine CIT, qui détenait le plus grand book de créances sur les PME aux Etats-Unis, et qui s'est placée en début de semaine sous la protection de la loi sur les faillites, le Chapter 11, n'a même pas fait sourciller les marchés boursiers, plus attentifs aux chiffres positifs de l'indice des directeurs d'achats américains et aux ventes de maisons qui repartaient à la hausse.

    Bien sûr si on en est là aujourd'hui c'est grâce à l'intervention massive et coordonnée de l'ensemble des gouvernements et des banques centrales de la planète pour sauver les meubles et éviter le pire. A cet égard, le sommet du G20 à Londres en avril dernier a constitué un tournant historique et a coïncidé avec le retour de la confiance sur les marchés et le redémarrage de la production industrielle, après des mois de destockage massif. Les banques, qui avaient bénéficié de centaines de milliards d'euros d'argent public, apportés en garantie ou sous forme de fonds propres en échange de vagues promesses de moralisation, ont recommencé à afficher des bénéfices insolents et des bonus qui feront de cette année l'un des meilleurs crus de la profession.

    La logique capitaliste - une action, une voix - a ainsi montré qu'elle était plus forte que la logique démocratique - un citoyen, une voix - et qu'elle possédait décidément un poids politique et une influence incommensurable avec celle des citoyens de base, dépourvus des moyens de lobbying collossaux dont disposent les Goldman Sachs, J.P. Morgan et consors.

    Don't act. Ce qui importe aujourd'hui ce n'est pas d'émettre des jugements moraux réprobateurs, mais de faire en sorte que les erreurs, voire les aberrations du passé ne se reproduisent plus à l'avenir. Pour cela, il faut revenir aux fondements de la crise actuelle, comprendre ses causes profondes et finalement comme dirait Alan Edgar Poe réfléchir froidement au mobile du crime plutôt qu'à l'atrocité du crime.

    Et à bien y réfléchir l'explication tient en un seul mot : bulle. Une bulle énorme, un tsunami de liquidité déversé par la Réserve Fédérale Américaine au lendemain du crash de la "nouvelle économie" en 2000. C'est le fameux "put Greenspan" du nom du président de la Réserve Fédérale de l'époque, Alan Greenspan, qui est resté dans l'histoire comme le meilleur ami des traders. Le même Greenspan qui a reconnu récemment que la crise avait révélé la faillite de toute la construction intellectuelle qui sous-tendait son analyse de l'économie et des marchés.

    Cette idée que les marchés pouvaient s'auto-réguler, que la titrisation dispersait les risques et que les déséquilibres macroéconomiques mondiaux étaient une question secondaire à l'ère du "consommateur roi". A la dérégulation financière correspondait une vision irénique de la globalisation fondée sur le modèle Wal-Mart que nous avons déjà évoqué dans un précédent article et sur le paradigme du "monde plat" du journaliste américain Thomas Friedman, dans lequel cohabitent harmonieusement l'ouvrier de General Motors, la petite tailleuse chinoise et l'informaticien indien. Une description à la Candide qui fait l'impasse sur les rapports de force bien réels qui façonnent l'économie mondiale.

    Aujourd'hui, alors que les signes de reprise se multiplient et que les consommateurs commencent à relèver la tête sous l'effet des stimulus budgétaires massifs aux Etats-Unis et en Chine, et des taux d'intérêt proches de zéro, les banques centrales des grands pays développés et émergents doivent faire face à leur responsabilités. N'ayons pas peur des mots, cette responsabilité est historique. L'enjeu est de savoir si nous voulons revivre la crise actuelle, en pire, dans dix ans, où si nous voulons construire un système économique plus juste, plus équilibré, avec une meilleure allocation des ressources, et une concentration des intelligences et des talents sur les grands défis du XXIème siècle que sont l'environnement, la santé et la lutte contre la pauvreté.

    Il faudrait pour cela convoquer une réunion des grands banquiers centraux de la planète pour coordonner les stratégies de sortie de crise. Une sorte de Yalta des banques centrales, dans lequel les gouvernements auraient aussi leur mot à dire car c'est eux qui possèdent in fine la légitimité politique, issue des urnes. L'horizon de la politique monétaire étant généralement de 2 ans (dans les pays où les mécanismes de transmission fonctionnent correctement), c'est maintenant qu'il faut agir. Pour envoyer un signal clair aux marchés et aux acteurs de l'économie réelle.

    Par quoi cela passe-t-il ? Avant tout par la définition d'une stratégie de sortie de crise clairement articulée entre la politique monétaire et la politique budgétaire. La crédibilité de l'une reposant sur la soutenabilité de l'autre. Il faut d'abord des objectifs chiffrés de réduction des déficits publics, quitte à étaler cette réduction dans le temps pour ne pas "casser" la reprise. Et pourquoi pas généraliser l'exemple allemand d'une inscription dans la Constitution ou dans un Traité international de cette stratégie coordonnée d'assainissement des comptes publics.

    Il faut ensuite stabiliser les devises par un accord entre les principales banques centrales qui s'engageraient à intervenir en cas de déviation trop significative des cours de change par rapport à des cours d'équilibre définis par les parités de pouvoir d'achat (en prévoyant éventuellement, un glissement dirigé, un "crawling peg" pour les devises émergentes). Il ne s'agit pas de remettre en place le système rigide de Bretton Woods mais de maîtriser de manière plus efficace la volatilité des changes qui pèsent beaucoup sur les décisions des agents économiques.

    Il faut enfin s'assurer que le développement de la liquidité bancaire n'aille pas alimenter à nouveau les comptes des spéculateurs mais que celle-ci soit canalisée vers des utilisations productives. Pour cela, l'idée d'une taxe sur les transactions financières pourrait être une solution, mais plus fondamentalement il faudrait surtout réaligner la taxation des plus-values sur le capital et la taxation du travail. Augmenter la première et diminuer la seconde. 

    Enfin, cela peut sembler hétérodoxe et contradictoire avec l'idée de maîtrise de la liquidité, mais l'introduction d'une dose d'inflation salariale - contrôlée au besoin via un mécanisme de ciblage d'inflation généralisé à l'ensemble des grandes banques centrales - pourrait constituer une solution en taxant implicitement le capital, en allégeant la dette publique, et en évitant que la liquidité bancaire aille encore alimenter des bulles spéculatives aux conséquences catastrophiques. Mais cela suppose d'en finir avec « le modèle Wal-Mart ». On en est encore très loin.

     

     


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  • Force est de reconnaître que le sommet du G20 à Pittsburgh a abouti à de réelles avancées sur les deux sujets les plus prioritaires du moment : la gouvernance économique mondiale, dans un contexte de reprise fragile des plus grandes économies de la planète, et la régulation financière, avec un ensemble de règles destinées à remettre les mauvais génies de la finance dans leur bouteille.

    Sur la gouvernance économique, cela a été dit et redit : au delà de la consécration du G20 qui se substitue au G8 comme forum principal de discussion sur les grandes questions économiques et financières, les deux grands gagnants de ce sommet sont la Chine et le FMI.

    La Chine tout d'abord qui va obtenir plus de poids au FMI moyennant une repondération des droits de vote qui va se faire au détriment des grandes nations européennes. Le FMI ensuite, qui avait déjà obtenu un triplement de ses moyens financiers au sommet de Londres en avril dernier. L'organisation internationale voit son importance renforcée sur la question des déséquilibres mondiaux, en étant chargée de quantifier les progrès réalisés par les Etats et de jeter les bases d'un dialogue entre grandes puissances sur cette question. Mais on imagine mal le FMI faire pression sur la Chine ou sur les Etats-Unis, ces derniers disposant  toujours d'un droit de véto au sein de cette institution.  

    D'autres part, en matière de régulation financière, et c'est là qu'on attendait le plus de progrès, il y a eu des avancées significatives qui consolident les acquis de Londres. Tout d'abord, sur la forme. Le sommet de Pittsburgh a établi un véritable calendrier des réformes et a consacré le Conseil de la Stabilité Financière, comme instance de coordination et de mise en oeuvre opérationnelle des nouvelles normes. Sur le fond ensuite, hormis la question des rémunérations dont la portée est plus symbolique que réelle, s'agissant de principes de bonne gouvernance auxquels les banques ont souscrit sans peine - y compris la plus puissante d'entre elles, Goldman Sachs -, la véritable avancée de ce sommet concerne le traitement du risque systémique pour lequel a été entériné le principe d'un contrôle renforcé, assorti d'exigences plus fortes en matière de fonds propres et d'effet de levier global.

    Il importe toutefois de noter l'extrême difficulté qu'il y a sur le plan opérationnel à mesurer ce risque systémique et à déterminer si un établissement doit être qualifié de systémique (en fonction de critères tels que la taille, le type de produits traités, l'interconnexion avec d'autres établissements, etc). L'exemple de la crise de liquidité de l'automne 2007 (un an avant la faillite de Lehman) montre que le risque systémique peut être lié à la défaillance combinée de plusieurs institutions de taille petite ou moyenne, ou à une soudaine reconcentration du risque auparavant dispersé parmi une myriade d'acteurs (comme ce fut le cas pour les portefeuilles de produits titrisés). C'est ce qu'on appelle en théorie des jeux un défaut global de coordination. C'est pourquoi, même si on contrôle mieux les grands établissements, il faudra dans tous les cas renforcer la surveillance des dynamiques de marchés, aux comportements parfois totalement erratiques.

    Ensuite, sur un plan plus structurel, l'impact à long terme sur l'industrie financière des différentes mesures édictées lors de ce sommet demeure très incertain. Comme l'observe Simon Johnson, ancien Chef Économiste au FMI, si les crises financières des vingt dernières années sont nées de l'éclatement de différentes bulles macro-financières (pays émergents, Internet, immobilier, etc), la crise de 2007-2008 est différente dans la mesure où elle manifeste l'éclatement d'une "méta-bulle", liée au poids hypertrophié de l'industrie financière dans la valeur ajoutée globale. Cette méta-bulle est le fruit de la libéralisation et de la dérégulation des années 1980 - 1990 qui a vidé de leur substance les grandes régulations bancaires des années 1930 (Glass-Steagall Act de 1933). Au demeurant celles-ci étaient devenues obsolètes car elles n'avaient pas prévu la révolution de la titrisation et la montée en puissance des grandes entreprises de courtage non régulées (Bear Sterns, Lehman Brothers, Merril Lynch) qui avaient constitué un vaste système de créances interconnectées adossées à des actifs financiers, le fameux "shadow banking system" (voir à ce sujet l'excellent article de Tobias Adrian et Hyun Song Shin dans la Revue de stabilité financière de la Banque de France).

    La réduction des leviers bancaires et l'accroissement des contraintes réglementaires devraient donc logiquement aboutir à une baisse de la rentabilité des établissements bancaires et à une diminution de leur poids dans la valeur ajoutée à un niveau plus conforme avec la moyenne historique de long terme (autour de 5% du PIB). Mais il ne faut pas négliger la capacité d'innovation des acteurs financiers. L'histoire montre que les phases de durcissement de la réglementation ont souvent préludé à des phases d'intense créativité en réaction à cette "poussée réglementaire". Ainsi en France c'est la rigidité du système d'encadrement du crédit mis en place dans les années 1970 qui avait abouti au développement exponentiel du marché monétaire et obligataire dans les années 1980, l'innovation financière ayant contourné la digue réglementaire pour mieux la faire exploser.

    En outre, les quelques faillites retentissantes dont celles de Lehman Brothers ne doivent pas faire oublier les grands gagnants de la crise financière : ces institutions "too big to fail" qui ont survécu et en ont profité pour accroître leur part de marché, donc leur risque systémique, dans un secteur où la notion d'aléa moral a totalement disparu. C'est ainsi qu'avant le sommet de Pittsburgh et alors que les nouvelles mesures de régulation n'en étaient qu'au stade de la discussion, les dirigeants de la banque Goldman Sach n'ont pas hésité à lancer un avertissement aux grands de ce monde pour freiner leur excès de zèle réglementaire.

    Pour l'heure, les mauvais génies de la finance ont regagné leur bouteille. Mais pour combien de temps ?

     


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  • Chine rurale image propagande

    Les Etats-Unis sont déterminés à mettre le problème des "déséquilibres mondiaux" à l'ordre du jour du sommet du G20 qui se tiendra à Pittsburgh du 24 au 25 septembre.

    De quoi s'agit-il au juste ?

    L'expression "déséquilibres mondiaux", traduction de "global imbalances" a été forgée par des technocrates du Trésor Américain, du FMI et de la Banque mondiale au début de la décennie 2000. Dans son acception positive, cette expression désigne la combinaison de déficits courants élevés aux Etats-Unis et de surplus monétaires dans les pays émergents. Excès de consommation d'un côté, excès d'épargne de l'autre.

    Mais sous un angle plus normatif, l'expression "déséquilibres mondiaux" a souvent été utilisée par les décideurs politiques américains pour dénoncer les manipulations auxquelles procéderaient selon eux la Chine et les autres pays exportateurs d'Asie du Sud Est pour freiner l'appréciation naturelle de leur taux de change et maintenir ainsi leur compétitivité et in fine leur surplus commercial avec les Etats-Unis.

    Ce concept est donc fondé sur une vision purement mercantiliste de l'économie, qui rappelle la bataille livrée dans les années 1980 contre le Japon, alors la bête noire des négociateurs du Department of Trade américain.

    C'est encore les déséquilibres mondiaux qui sont accusés par les Etats-Unis d'être à l'origine de la crise économique financière de 2007-2008. Une manière commode en somme de mettre la pression sur les pays émergents à un moment où ces derniers réclament, très légitimement, un plus grand poids dans la gouvernance mondiale.

    Pourtant, il n'est pas sûr qu'une résorption hâtive de ces déséquilibres soit dans l'intérêt des Etats-Unis, ni du reste de la planète. S'il y a une chose sur laquelle tout le monde est d'accord, c'est que la libéralisation des échanges commerciaux a permis un considérable gain de pouvoir d'achat pour ... les consommateurs des pays développés.

    En maintenant le taux de change du renminbi chinois et d'autres devises asiatiques à un niveau relativement faible, la Chine a exporté de la désinflation pendant des années et a permis aux ménages américains et européens d'acheter des marchandises à bon marché, dispensant ainsi les entreprises de leurs accorder des hausses salariales, l'essentiel de la marge allant dans les poches des actionnaires.

    Après le compromis fordiste des trente glorieuses (hausses de salaires compensées par des hausses de productivité), la mondialisation des années 1980-2000 a ainsi consacré "le modèle Wal-Mart": surprofits pour les actionnaires en échange de prix discount pour les salariés-consommateurs.

    Ce modèle a bien fonctionné jusqu'aux début des années 2000. Seulement le hic, c'est que les mineurs chinois du Shandong et les ouvriers des usines de Shenzhen et de Shanghai - pour la plupart des travailleurs migrants venus des régions rurales - n'ont vu aucune amélioration significative de leur pouvoir d'achat. Ne disposant d'aucune protection sociale, ces mingong comme on les appelle en Chine envoyaient leurs maigres revenus à leurs familles rurales cantonnées dans l'agriculture de subsistance, à défaut d'avoir accès au crédit et aux infrastructures de base (électricité, eau courante, moyens de transports).

    A contrario, la Chine a accumulé d'énormes réserves de change investies dans des obligations du Trésor américain à faible rendement, déprimant ainsi les taux d'intérêt mondiaux à long terme et contribuant par là même à alimenter la bulle du crédit immobilier et de la consommation aux Etats-Unis.

    Mais cette situation est en train de changer. Une révolution silencieuse est en effet en marche, loin des gesticulations des responsables politiques américains. La Chine rurale commence enfin à sortir de sa léthargie, le Parti Communiste ayant compris que seule une prospérité partagée par les villes et les campagnes permettrait durablement de préserver "l'harmonie sociale" et donc in fine son pouvoir dans un pays en pleine mutation.

    Pour ce faire, les autorités ont récemment renforcé les droits de propriété attachés à la terre, en donnant la possibilité aux fermiers de louer leur terre, et de préparer la consolidation du secteur agricole. Cette réforme est aussi importante que celle qui a permis dans les années 1990 à des millions d'habitants des villes d'accéder à la propriété de leur logement. Comme le rapporte le Wall Street Journal, les paysans chinois tirent aujourd'hui plus de 50% de leur revenu d'activités autres que l'agriculture, alors que c'était proportion était quasi-nulle il y a trente ans.

    Le corollaire c'est que le pouvoir d'achat des paysans chinois devrait connaître une augmentation considérable dans les prochaines années. La clé des déséquilibres mondiaux ne se trouve donc pas à Pittsburgh mais dans les provinces rurales chinoises du Sichuan, du Guizhou ou de l'Anhui.

    Les jours de Wal-Mart pourraient bien être comptés à mesure que l'essor de la consommation en Chine se traduira par une baisse de l'épargne excédentaire, une hausse des taux d'intérêt à long terme et une résurgence de l'inflation qui devrait ralentir la consommation dans les pays développés.

    A l'heure du du développement durable et du "moins consommer pour mieux consommer" ce n'est pas forcément une mauvaise chose...  

     


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  • Comme le raporte l'agence financière Bloomberg, Dubai World, la holding diversifiée contrôlée par l'émirat de Dubai est en négociation avec plusieurs grandes banques internationales pour la restructuration d'une dette de près de 25 milliards de dollars contractée par sa filiale d'investissement Istithmar. Cette dernière devrait d'ailleurs être liquidée pour rembourser ses créanciers, au rang desquels on compte Barclays, Royal Bank of Scotland, ou Deutsche Bank.

    Dans le monde très feutré des fonds souverains du Moyen-Orient, où les décisions se prennent à l'issue de réunions quasi-secrètes, ce type de nouvelle fait très mauvais genre. Une publicité qui n'est pas très bienvenue alors que l'émirat de Dubai est confronté à la gestion d'une dette de l'ordre de 100% du PIB.

    Mais Istithmar était-il vraiment un fonds souverain au sens conventionnel du terme ? La réponse est non. Assurément non, à en croire la philosophie d'investissement, au petit bonheur la chance, dans des actifs de prestige - économiquement inopérants - tels des palaces new-yorkais, des marinas de luxe dans les caraïbes, ou encore le vénérable Queen Elisabeth II (!) qu'on projetait de transformer en hôtel de luxe (encore un). La réponse est encore non si on en juge des ressources de ce fonds d'investissement, constituées à plus de 90% de dette.

    La réponse est trois fois non si on considère le contrôle des risques, pour le moins défaillant. L'équipe de direction constituée de vétérans de la finance, pour la plupart des expatriés anglo-saxons recrutés à prix d'or, a eu les mains libres pour se lancer dans des investissements hasardeux au plus haut du cycle, avant que la crise financière ne vienne anéantir la rentabilité supposée des différents actifs achetés.

    Cette débacle illustre bien la faillite d'un modèle de gouvernance qui manque de transparence et qui rend très peu de comptes sur l'utilisation de l'argent public ou semi-public. Un modèle qui ne suscite pas de critiques tant que l'économie se porte bien, mais qui ne manque pas de montrer ses limites en phase de retournement. 

    Contrairement à beaucoup de pétromonarchies, Dubai a la chance d'avoir un leader visionnaire, le cheikh Mohamed Al Maktoum, qui a su diversifier l'économie, moderniser les institutions et ouvrir l'Emirat au monde extérieur, en attirant au besoin les professionnels les plus qualifiés grâce à des packages défiant toute conccurence et à un régime de paradis fiscal. L'inauguration il y a quelques jours du premier métro dans la région du Golfe (si on exclut celui de Téhéran) est un symbole de cette volonté de modernisation et d'ouverture.

    Il faut aujourd'hui aller plus loin et transformer l'essai, en misant sur la qualité plus que sur la quantité, et en réorganisant les structures de gouvernance et de prise de décision. En trente ans, par sa réussite économique, l'émirat de Dubai a prouvé qu'un pays arabe pouvait sortir du sous-développement et devenir une plaque tournante entre l'Orient et l'Occident. Au delà des difficultés conjoncturelles, il faut aujourd'hui faire appel au meilleurs compétences pour imaginer la place de Dubai dans le monde post-occidental qui se prépare.

     

     

     


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