• Qu'on se le dise, l'économie américaine va mieux. C'est ce qui ressort de différents indicateurs et enquêtes réalisées au mois d'août.

    La production industrielle tout d'abord qui se redresse si l'on en croît l'indice de l'Institute for Supply Management (ISM) qui passe pour la première fois au dessus de la barre symbolique des 50 (synonyme d'expansion) à 52,9 en août après 18 mois de contraction ininterrompue de l'activité. Le regain des exportations stimulé par la baisse du dollar (actuellement au plus bas par rapport à l'euro) est en partie responsable de cette embellie.

    Le moral des consommateurs américains ensuite qui commence à se redresser, avec un frémissement de l'indice de confiance des consommateurs du Conference Board au dessus des 50 points.

    Enfin, la dernière édition du "beige book" publié par la Réserve Fédérale, une compilation d'enquêtes de conjoncture réalisées auprès des entreprises et des ménages par les 12 réserves fédérales régionales, montre également un arrêt de la déterioration et une légère reprise de l'activité dans certaines zones comme le Sud-Est (Dallas, Huston) et le Nord-Est (Boston, Philadélphie). Seul point noir, mais de taille, la Californie qui peine à se relever après avoir été frappée de plein fouet par le retournement de l'immobilier et la chute de la demande mondiale pour les produits high tech.

    L'immobilier résidentiel aussi commence à montrer des signe de raffermissement, avec un redressement de l'indice Case-Shiller qui traque les prix des transactions dans les 20 plus grandes métropoles américaines.

    Pour autant ces signes encourageants ne doivent pas faire oublier la gravité de la récession traversée par les Etats-Unis, la plus grave depuis la Grande Dépression des années 1930, avec une perte cumulée de près de 4% du PIB depuis le début de la crise économique, une destruction dramatique de la richesse immobilière et financière des ménages, une dislocation inouïe des marchés suite à la faillite de la banque Lehman Brothers, et une perte de confiance dans les institutions et les hommes, que même le discours volontariste du Président Barack Obama aura du mal à restorer.

    En réalité, derrière les signes d'amélioration conjoncturelle et de reprise boursière, l'économie américaine va toujours aussi mal. Le chômage continue de progresser et pourrait bientôt dépasser le pic de 10,8% enregistré en décembre 1982, et le taux d'épargne des ménages continue d'augmenter augurant mal d'une réelle reprise de la consommation dans les années à venir. Le moteur principal de la croissance est donc grippé pour longtemps. D'autant plus que ce moteur avait été largement soutenu par la bulle immobilière, à travers l'effet de richesse qui poussait les ménages à s'endetter d'avantage grâce à l'appréciation continue de leur patrimoine.

    La compétitivité de l'économie américaine dans son ensemble s'est dégradée après deux ans de crise financière et économique, comme le montre le dernier rapport du Forum de Davos, qui la détrône de sa première position au profit de la Suisse.  

    Et les déséquilibres macroéconomiques se sont accumulés avec un déficit courant qui reste toujours considérable et un déficit budgétaire qui explose à plus de 10% du PIB.

    La crédibilité du billet vert est aussi en perte de vitesse avec l'explosion de l'ardoise de la Réserve Fédérale, garante en dernier ressort des créances sur le dollar, qui s'est engagée dans un vaste programme de recyclage des actifs pourris hérités de la crise. Au point qu'on parle désormais ouvertement de remplacer le dollar par une monnaie internationale qui ne serait plus contrôlée par un seul pays, aussi puissant soit-il et qui n'aurait pas à subir le contrecoup de toutes les vicissitudes connues par ce pays. Même le prix Nobel américain Joseph Stiglitz, ancien vice-président de la Banque Mondiale, se déclare aujourd'hui favorable à une telle alternative sur laquelle il planche au sein d'un comité onusien !


    La vérité c'est que l'Amérique va mal, très mal. Elle a vécu au dessus de ses moyens tout en s'engageant dans des guerres ruineuses en Afghanistan et en Iraq. A la fatigue économique s'ajoute donc la fatigue stratégique d'une démocracie qui s'est fourvoyée dans une "quête d'empire" vide de sens.

    Il faudra des années pour reconstruire l'édifice politique, économique, et intellectuel laissé en ruines par les deux présidences de Georges W. Bush et l'avidité des courtiers de Wall Street. L'élection de Barack Obama est indiscutablement la meilleure chose qui soit arrivée à l'Amérique dans ce contexte. Une divine surprise qui pourrait préfigurer un véritable "turn-around" dont on décèle les premiers éléments avec l'engagement en faveur de l'écologie et la volonté de réformer le système de santé et les infrastructures défaillantes. Yes, they can ! A condition d'abandonner le messianisme prophétique, l'unilatéralisme, et l'absence de remise en cause qui ont caractérisé la période entre le 11 septembre 2001 et le 15 septembre 2008. Mais l'Amérique a-t-elle vraiment le choix ?


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  • Il semble à priori difficile de réconcilier finance et religion. La sphère financière et la sphère religieuse ont en effet leurs propres exigences et leurs propres logiques : matérielle pour l'une, spirituelle pour l'autre. Pourtant les promoteurs de la finance islamique semblent avoir réussi ce pari. C'est en tout cas l'impression qui se dégage si l'on en croît l'intérêt croissant suscité par cette "finance halal" y compris en France. Même Christine Lagarde, notre ministre de l'économie et des finances, y est favorable.

    Qu'est ce au juste que la finance islamique ? C'est au fond une transposition au cadre islamique de la vieille distinction aristotélicienne entre l'économie (oikonomia), qui désigne un ensemble de normes visant à assurer le bien-être matériel de la famille et par extension de la communauté, et la chrématistique, qui renvoie à une accumulation de richesses monétaires sans utilité sociale. En language moderne, on parlerait de distinction entre économie réelle et économie monétaire ou "financière".

    Pour ses défenseurs, la finance islamique a ainsi évité les excès de la finance conventionnelle en appliquant la condamnation coranique du taux d'intérêt, assimilé à de l'usure. Elle se rattache à l'économie réelle à travers le principe de l'adossement de toutes les transactions financières à des actifs réels : immobilier, infrastructure, matières premières, actifs industriels, etc.

    Avec un milliard de musulmans sur terre, et un regain réel ou supposé de la religiosité partout dans le monde, le "marché potentiel" pour cette nouvelle finance parait gigantesque.

    Pourtant à y regarder de près, on constate que les institutions de finance islamique n'ont pas été épargnées par la crise financière de 2007-2008 comme le rapporte l'agence de notation Standard & Poors dans un rapport récent. Elles ont été frappées de plein fouet par la raréfaction du crédit et l'extinction de la liquidité qui a suivi la faillite des grandes institutions bancaires américaines. Certaines grandes banques islamiques basées dans le Golfe, comme la Kuwait Finance House n'ont dû leur salut qu'à l'intervention massive de leurs banques centrales, prêteuses en dernier ressort ici comme partout ailleurs.

    La raison d'une telle débacle tient, à l'actif, à une prise de risque inconsidérée dans les méga-projets immobiliers qui ont fleuri ces dernières années à Dubai et dans d'autres pétromonarchies, avant de s'écrouler comme des châteaux de sable avec la crise financière. Au passif, l'explication tient à l'absence de possibilité de refinancement sur le marché de gros de la liquidité, jugé non conforme à la sharia. Ce qui se traduit in fine par une dépendance excessive vis-à-vis des dépôts bancaires, beaucoup moins faciles à mobiliser. En outre, si les banques islamiques n'ont pas investi dans les fameux subprime américains, l'exposition de nombre d'institutions aux marchés boursiers régionaux et mondiaux s'est traduite par des pertes colossales qui ont terni la réputation de ces établissements.

    La finance islamique n'est donc pas une panacée, de l'avis même de certains "scholars" très critiques, comme l'américano-égyptien Mahmoud Al Gammal pour lequel l'interdiction de l'intérêt apparaît comme un anachronisme, en contradiction avec les enseignements les plus élémentaires de la science économique moderne. Pour aller plus loin, on pourrait dire qu'en détournant les pays musulmans des vraies priorités (développement économique, lutte contre la pauvreté, promotion des libertés individuelles) le formalisme de la finance islamique ne fait que les isoler du reste du monde, au profit d'une oligarchie financière (BNP Paribas, HSBC, etc.) qui a parfaitement sû exploiter ce "filon". Au profit aussi des tendances les plus conservatrices du monde musulman, qui disposent là d'un nouveau levier pour asseoir leur pouvoir. C'est également le sentiment de Tariq Ramadan. Le théologien et philosophe controversé pointe du doigt l'hypocrisie d'un nominalisme qui cache mal le caractère élitiste de cette finance dont la dimension éthique est quasi-nulle.

    La composition des Sharia boards, ces comités de sages censés statuer sur le caractère licite des transactions financières, reflète également ces antagonismes. On y retrouve aussi bien des théologiens sans aucune expérience de la finance, que des financiers "conventionnels" venus sur le tard à la finance islamique sans avoir suivi le cursus honorum des théologiens islamiques. Enfin, les interprétations très différentes, voire divergentes, de la Sharia qu'ont les islamo-conservateurs du Golfe et les islamo-libéraux d'Asie du Sud-Est (Malaisie en particulier) révèlent le caractère mouvant de cette nouvelle finance qui s'accomode parfois d'un pur habillage juridique sur des instruments conventionnels.

    Pour autant, faut-il rejeter la finance islamique comme une hérésie tant du point de vue de la finance que de celui de la religion (islamique en l'occurence) ? C'est peut-être l'adjectif "islamique" qui pose le plus problème, en clivant et en portant en soit les germes d'une ségrégation entre musulmans et non musulmans, entre modernisateurs et tenants de la tradition, enfin entre religieux et laïcs, ces derniers existant aussi bien dans les pays occidentaux que dans certains pays dits "musulmans" comme la Tunisie, la Turquie ou encore le Pakistan.

    La finance islamique devrait ainsi retrouver sa vocation éthique originelle au lieu de se focaliser sur la compatibilité à la Sharia de telle ou telle technique financière particulière. A l'heure d'un réalignement des incitations financières (bonus des traders et des banquiers) sur les risques engagés, c'est dans le principe de partage des risques et des pertes que réside le caractère novateur de cette finance "solidaire". Certainement pas dans le recyclage des pétrodollars, n'en déplaise à Christine Lagarde.


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  • Souvenez-vous, c'était en juillet 2007. Autant dire une éternité pour les marchés financiers. La crise des subprimes venait d'éclater. Le 16 juillet 2007, il ya exactement deux ans, la banque d'investissement américaine Bear Sterns, paix à son âme, annonçait que deux de ses fonds spéculatifs avaient perdu la quasi-totalité de leur valeur suite à des investissements hasardeux dans des titres adossés à des crédits hypothécaires américains, les fameux subprimes. L'été 2007 a été mouvementé, conduisant la FED à amorcer en septembre 2007 une série d'interventions qui allaient ramener son taux directeur aux alentours de zéro à l'automne 2008. Le monde découvrait avec effroi les actifs toxiques. Il aura fallu une légère hausse des taux longs américains au printemps 2007 pour que cette crise éclate. Mais le ver était déjà dans le fruit avec un retournement du marché immobilier déjà en juillet 2006. Nous n'étions encore qu'au début de la crise financière et les esprits candides ne prédisaient encore que des conséquences très bénignes sur l'économie réelle. Fin de l'acte 1.

    Souvenez-vous, c'était en septembre 2008. La banque Lehman Brothers annonçait qu'elle était à cours de liquidités. Ne pouvant mobiliser son énorme ardoise d'actifs toxiques, et n'ayant pu obtenir un prêt de la Réserve Fédérale ou du Trésor Américain pour hônorer ses engagements à court terme, Lehman Brothers déclare faillite. La crise de liquidité de l'automne 2007 et du printemps 2008 se transforme en crise financière généralisée. Les bourses chutent emportant toutes les classes d'actifs dans leur sillage : actions, obligations, matières premières. La volatilité est inouïe. De mémoire de trader on n'avait jamais vu ça. L'indixe VIX américain, surnommé l'indice de la peur, atteint un record historique. La confiance dans l'économie s'écroule aux Etats-Unis comme dans le reste du monde. Le mot de récession est lâché. Le NBER établira que les Etats-Unis étaient entrés en récession dès décembre 2007. Fin de l'acte 2. 

    Voilà nous y sommes. C'est l'été 2009. On se préoccupe plus des vacances que des marchés financiers, qui tournent au ralenti. En cette fin de l'an II de la crise financière, on nous annonce déjà la sortie de la récession pour la fin de l'année, et tant pis si la reprise sera laborieuse et que les dettes publiques explosent. La crise financière ne serait plus qu'un mauvais souvenir exorcisé à coup de sommets du G20 et de plans de régulation financière les "plus ambitieux depuis les années 1930" (dixit le Président Barack Obama).   

    Pas si vite.

    Un nouveau grondement sourd des profondeurs de la finance, avec des frémissements qui vont des steppes kazakhes aux trading floors londoniens et new-yorkais. De quoi s'agit-il au juste ? Hé bien, tout simplement de la plus grande bombe à retardement financière qui ait jamais été inventée : les CDS ou Credit Default Swaps. Une bombe dont la puissance de déflagration pourrait être cent fois supérieure à celle des subprimes, avec un encours mondial de plus de 40000 milliards de dollars en décembre 2008 ! Oui, vous avez bien lu 40000 milliards de dollars. 

    Le débat sur les CDS était cantonné jusqu'à présent à une sphère purement technique, l'objectif étant de sortir de l'ombre ces titres dont on ne connaît ni les détenteurs finaux, ni la valeur réelle, ni les contreparties, et de rationaliser ces marchés à travers la mise en place de chambre de compensations centralisées. Un débat d'experts et d'initiés qui devait rester comme tel.

    Mais voilà. Le Département de la Justice Américain vient d'ouvrir une investigation pour en savoir plus sur ce marché, caractérisé par sa structure fortement oligopolistique. Opération vérité et transparence. Premier visé, la société Markit, fournisseur de l'information financière sur ces instruments. Du moins, fournisseur du peu d'information qui circule, l'essentiel des transactions ayant lieu, comme on dit, Over The Counter (OTC), autrement dit de gré à gré.

    Le débat sur les CDS vient de prendre aussi une tournure beaucoup plus politique au Kazhakstan, comme le rapporte le Financial Times. Oui, ne riez pas. Cela n'a rien d'une blague potash (sic) à la Borat. Pendant des années les banques occidentales ont prêté des sommes considérables aux banques kazakh, qui roulaient sur l'or grâce au pétrole et aux autres ressources naturelles dont le pays regorge, recyclant ces liquidités dans des projets à la rentabilité plus que douteuse. C'était avant la crise financière et la chute du prix du pétrole. Aujourd'hui, les banques kazakh sont aux abois. La plupart ont été nationalisées par le gouvernement ou sont en passe de l'être. Or, pour ce couvrir les banques occidentales avaient souscrit ces fameux CDS qui les protègent en cas de défaut de leurs clients kazakhs. Une assurance tout risque, en somme. Le problème c'est que ces mêmes banques sont aujourd'hui tentées de spéculer sur les CDS, dont le prix augmente quand la probabilité de défaut de la contrepartie augmente. La banque Morgan Stanley est ainsi soupçonnée d'avoir favorisée à dessein la banqueroute de la plus grande banque kazakh, la BTA, pour pouvoir actionner les "airbags financiers" et empôcher une belle plus-value au passage. Assurément, là on ne rigole plus. Morgan Stanley a beau démentir, elle n'en est pas moins dans une situation délicate. Précipitez la BTA dans la faillite et c'est tout un pan du système financier kazakh qui s'effondre.

    En vérité, le risque lié aux CDS est bien plus grave que tout ce que l'on a connu au cours des deux dernières années. Le pire n'est pas certain, mais tous comme les ogives nucléaires, ces instruments ne sont pas à mettre entre les mains de n'importe quels spéculateurs, qui pourraient être tentés de jouer le Grand soir financier, emportant au passage toute l'économie mondiale dans un gouffre béant. Il est encore temps d'agir, mais le temps est compté.


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  • Qu'on se le dise les Etats européens sont bien décidés à renforcer la régulation du système bancaire en imposant aux banques toute une série de nouvelles contraintes : provisions dynamiques "through the cycle", renforcement des exigences en fonds propres de type tier 1 ou "super tier 1" (qu'on appelle aussi TCE pour "tangible common equity"), encadrement plus strict des activités de marché, etc. C'est tout le sens des mesures avalisées le lundi 6 juillet au sommet de l'Eurogroupe.

    En tout cas, telle est la tonalité du message qu'on veut faire passer auprès de l'opinion publique. Celui d'un volontarisme politique à tout crin qui veut remettre dans leur bouteille les mauvais génies de la finance. Tout ira alors pour le mieux dans le meilleur des monde, et la crise financière ne sera plus qu'un mauvais souvenir, qu'on racontera aux enfants le soir au coin du feu, sur le mode I was there. Je l'ai vécue.

    Pourtant la réalité est tout autre. En creusant un peu plus en détail, on s'aperçoit que les concessions qui ont été accordées par les gouvernements européens aux banques depuis le début de la crise financière sont incomensurablement plus importantes ques les contraintes marginales entraînées par ce semblant de re-régulation.

    Les banques ont obtenu des gouvernements de relaxer les contraintes comptables qui pesaient sur leurs portefeuilles d'actifs toxiques. Par un tour de passe-passe comptable, une bonne partie de ces actifs a ainsi été revalorisée à leur coût historique, à charge pour les banques de lisser dans le temps les pertes considérables enregistrées en valeur de marché sur ces actifs. Dans le même ordre d'idées, les gouvernements européens ont demandé à l'IASB, l'organisme qui gére les normes IFRS appliquées dans l'Union, de revoir sa copie sur la "fair value", suivant en cela son homologue américain, le FASB. L'IASB est en train de s'exécuter, contraint et forcé, et devrait édicter une nouvelle norme cet automne, qui authorisera les banques à utiliser de manière plus extensive des hypothèses internes pour évaluer leurs titres financiers. Plus besoin de faire référence à des indices de marché, on abandonne le mark-to-market en cas de gros stress, au profit du mark-to-model, prélude à toutes les dérives.

    Quant au provisionnement dynamique, il a certes des avantages, dans le mesure où il peut exercer une force de rappel - dont il faudra tester l'efficacité réelle - pour contraindre les banques à limiter leurs risques en période haute du cycle économique. Mais il aura surtout pour effet de déconnecter complètement les résultats bancaires des risques réellement encourus, puisqu'il aboutira à un lissage des résultats sur plusieurs années. En espagne, où ce provisionnement a été mis en place à la suite des crises latino-américaines (Mexique, Brésil, Argentine) dans lesquelles les banques ibériques avaient laissé quelques plumes, les provisions n'ont pas empêché la bulle immobilière. Elles en ont juste transféré les risques dans des véhicules de financement spécialisés, moins sujets à ces contraintes.

    A moins d'inclure des garde-fous et d'instaurer un "level playing field" suffisamment clair entre grandes et petites banques, l'effet indirect de tous ces changements sera une opacité accrue du système bancaire, et une prime aux grands établissements qualifiés de "too big too fail". En dehors d'un cercle d'initiés, personne ne saura ce qui se passe vraiment dans les comités de direction dirigés par messieurs Baudoin Prot, Frédéric Oudéa, et consors. Ces mesures vont remettre au goût du jour les relations incestueuses entre régulateurs et régulés, avec la complicité passive des gouvernements. Tout se passera dans des salons feutrés entre des gens qui se connaissent et s'apprécient, ayant souvent fait leurs classes dans les mêmes écoles. C'est tout le contraire de la philosophie des normes IFRS, destinées à assurer une plus grande transparence des comptes financiers des entreprises, y compris des banques. C'est également une remise en cause implicite du Pilier III - dit "discipline des marchés - de Bâle II, dont l'objet était d'inciter les banques à une présentation détaillée de leurs risques. Or, si les marchés boursiers peuvent se tromper, ils exercent généralement un pouvoir bénéfique sur les entreprises à long terme, en sanctionnant les erreurs de gestion de leurs dirigeants. En limitant l'information fournie aux marchés, on limite leur pouvoir de sanction, et on compromet l'efficacité globale du système économique. 

    Qui sait réellement aujourd'hui ce que les banques ont dans leurs portefeuilles ? Même les gouvernements ont du mal à y voir clair. En empêchant le "grand déballage" par des artifices comptables que peu de gens comprennent, on renforce l'aléa moral et l'opacité du système. En vérité, les législateurs et les régulateurs sont en train de semer, sans s'en rendre compte, les germes des futures crises bancaires.

    Au lieu de se focaliser sur des mesures techniques aux effets incertains, qui de surcroît annulent le bénéfice principal des normes prudentielles et comptables actuellement en vigueur - à savoir une plus grande transparence, même au prix d'une volatilité financière accrue -, les gouvernements feraient mieux de revoir l'architecture du système de régulation financière en Europe. Les mesurettes ne sont plus permises. Il est urgent de mettre en place cette supervision financière européenne que tous appellent de leur voeux mais dont personne au fond ne veut. C'est là qu'il faut une véritable volonté politique et un dépassement des égoïsmes nationaux. Mais déjà les intérêts particuliers et les lobbys divers s'agitent et freinent des quatre fers. Dans ce domaine comme dans d'autres, l'Europe continue de pratiquer la politique de l'autruche. Le réveil n'en sera que plus douloureux.

     


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  • Le récent "rally" qu'ont connues les différentes bourses mondiales ce printemps pourrait bien toucher à sa fin.

    Les nouvelles sur le front macroéconomique et financier ne sont pas aussi bonnes que prévu pour le second semestre 2009 : révisions des perspectives de croissance à la baisse par la Banque mondiale, poursuite de l'augmentation du chômage dans les pays développés et émergents, échecs relatifs des plans de "containment' des actifs toxiques, notamment aux Etats-Unis, creusement des déficits publics et remontée du taux d'épargne privé.

    C'est pourquoi, la Banque des Règlements Internationaux n'a pas tergiversé dans son analyse sur la sortie de crise. Celle-ci sera longue et difficile, selon l'institution bâloise. Les gouvernements doivent marcher sur le fil du rasoir pour éviter de s'enfoncer dans la récession et la déflation d'un côté, et pour ne pas faire le lit de l'inflation et d'une remontée brutale des taux longs d'un autre coté. Le premier risque semble aujourd'hui maîtrisable, au vu de l'ampleur des plans de relance mis en place par les différents gouvernements du G20. Le second risque est beaucoup plus difficile à quantifier et à maîtriser. Il est de ce fait beaucoup plus dangereux.

    Cette crise est systémique dans la mesure où tous les piliers sur lesquels reposaient la croissance mondiale au cours des dix dernières années sont remis en cause : excès de consommation à crédit et déficits publics dans les pays développés, insuffisance de consommation et croissance fondée sur les exportations dans les pays en développement, notamment en Asie, maîtrise de l'inflation des biens qui se traduit par une inflation des actifs financiers. De manière plus fondamentale encore, ce sont les piliers même du système économique des cinquante dernières années qui sont atteints : organisation fordiste du travail, absence de prise en compte du coût environnemental et social de la production et de la consommation, régulations de l'Etat-providence fondées sur des réalités sociales dépassées (opposition capital-travail, patron-salarié, actif-retraité).

    Néanmoins, doit-on vraiment s'attendre à un changement systémique à la hauteur de la crise qui a secoué le monde ? 

    Si on fait un parallèle avec la Grande Dépression des années 1930, il faut se souvenir que la sortie de la Dépression n'a été effective qu'avec la seconde guerre mondiale, qualifiée par certains économistes de plus grand plan de relance dans l'histoire de l'humanité.

    Le capitalisme patrimonial qui sous-tend la vision du monde d'un grand nombre de responsables politiques et économiques a un bel avenir devant lui. Son postulat essentiel est fondé sur la maîtrise de l'inflation (c'est à dire des salaires) qui permet de garantir les revenus des rentiers et de faciliter le maintien du statu quo social. Pour autant, les institutions chargées de gérer ce patrimoine n'ont pas encore véritablement compris les enjeux liés à la mondialisation, comme en témoigne le faible poids des pays émergents dans leurs allocations d'actifs. C'est particulièrement vrai en France où ce poids n'atteint pas quelques pourcents.

    Il faudra bien se rendre compte du rééquilibrage massif qui est en train de s'opérer dans le monde, crise ou pas crise, en faveur de ces régions, les plus peuplées, avec les populations les plus jeunes, et les besoins économiques les plus importants.

    Mais la frilosité de nos élites, qui s'intéressent à peine à ce qui se passe dans ces régions, ne va pas dans le sens de l'Histoire. Il appartient aux jeunes générations de montrer le chemin et de réhabiliter la symbolique de la "nouvelle frontière". Une nouvelle frontière nécessairement située à l'Est et au Sud.

     


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