• Contrairement aux Etats-Unis où le plan de relance de 787 milliard de dollars signé en début d'année par le Président Barack Obama tarde à montrer des effets positifs, avec un chômage qui frôle désormais les 9%, et une situation industrielle qui ne se redresse toujours pas (indice ISM toujours sous la barre des 50), la Chine semble en passe de réussir son pari.

    Le plan de 4000 milliard de yuans (585 milliard de dollars) annoncé en décembre dernier par les authorités de Pékin commence en effet à produire des effets, qui plus est conséquents sur la demande domestique. On assiste ainsi à une multiplication par cinq - du jamais vu ! - des nouveaux crédits au secteur privé en juin 2009 par rapport à l'année dernière, et à une croissance de 48% des ventes de voitures ce même mois par rapport à juin 2008. Au total, les ventes de voitures ont crû de 18% sur les six premiers mois de l'année par rapport à la même période l'année dernière. 

    De la même façon, le secteur immobilier connaît une véritable embellie. Les prix des logements ont augmenté pour la première fois en juin en variation annuelle et les transactions immobilières ont crû de près de 10% au premier semestre 2009 par rapport au premier semestre 2008. 

    La hausse de la consommation et la reprise de l'investissement résidentiel se traduisent par une reprise de la production industrielle, et une hausse de la demande pour les matériaux comme l'acier ou l'aluminium. Le cercle vertueux de la croissance s'est enclenché, malgré des exportations qui restent toujours en berne. Les investisseurs ne s'y trompent pas. La bourse de Shanghai a continué sa progression, avec une croissance de plus de 60% cette année, alors même que les bourses des pays développés commencent à s'essoufler après avoir réalisé que la sortie de crise aux Etats-Unis et en Europe allait être beaucoup plus laborieuse que prévu (voir notre billet à ce sujet).

    Pourquoi le plan chinois semble réussir là où les plans américain et européen semblent échouer, malgré un discours très volontariste  ?

    L'explication est simple.

    Tout d'abord le plan de relance chinois est beaucoup plus massif, rapporté à la taille de l'économie (avec 14% du PIB) que les plans de relance américain (5% du PIB avec des dépenses étalées pour certaines sur 10 ans) et a fortiori européen (à peine 1% à 2% du PIB, le gouvernement français s'étant montré particulièrement timoré dans ce domaine). Il est vrai que dans le cas européen, les dépenses sociales étant plus larges, le rôle des stablisateurs automatiques est beaucoup plus important qu'aux Etats-Unis et a fortiori qu'en Chine où l'Etat-providence n'existe pas. Mais même en corrigeant de ces différences institutionnelles, la Chine bat à plate couture ces deux grandes zones avancées en terme d'effort financier. L'absence de protection sociale y est "compensée" par un taux d'épargne nationale qui frise les 50% du PIB, permettant d'absorber les chocs de revenu négatifs et d'assurer que les ressources supplémentaires injectées par le gouvernement seront effectivement dépensées par les ménages et les entreprises. Le problème des mingong, ces quelques 300 millions ouvriers "sans domicile fixe" dont 30 à 50 millions ont perdu leur emploi et devront par conséquent retourner dans leurs provinces rurales, est moins grave que ce qu'on a pu en dire. Il affecte peu la dynamique de consommation globale du pays, animée par les classes moyennes urbaines, ayant accès au crédit, au besoin en hypothéquant les appartements dont ils sont devenus propriétaires à la suite de la réforme immobilière des années 1990.    

    Ensuite, le plan de relance chinois est beaucoup plus ciblé et mieux coordonné que les plans américain et européen.

    Le gouvernement chinois a agi sur les deux leviers les plus importants de la demande domestique : la consommation de biens durables et l'investissement résidentiel. Il a accordé des aides massives aux ménages (crédits à taux bonifiés, baisses d'impôts, aides directes à l'achat de nouvelles voitures et d'électroménager) pour relancer leur consommation et leur investissement immobilier. Le relâchement du crédit bancaire, avec la disparition des quotas de prêts qui avaient été mis en place en 2007-2008 pour calmer la surchauffe économique, a lui aussi été un facteur déterminant dans cette relance. Or, il faut savoir que l'industrie bancaire chinoise est dominée par quatre grandes banques publiques qui contrôlent plus de 80% de la distribution de crédits et 90% des dépôts, et dont les dirigeants sont fortement "incités" à obéïr aux directives venant du pouvoir politique. Toute comme la Banque centrale qui applique une politique monétaire largement décidée par le gouvernement, ou fixée en concertation avec ce dernier.

    Les Chinois ont toujours été partisans d'une gestion prudente des ressources publiques, accumulant excédents budgétaires et réserves monétaires, en période d'expansion. Ils montrent aujourd'hui qu'ils maîtrisent aussi parfaitement les mécanismes de la relance budgétaire, mieux même que les Etats-Unis qui ont les premiers appliqué cette politique économique dans les années 1930. Si Keynes était vivant, il applaudirait des deux mains.

    ventes de voitures de tourisme en Chine en 2009        


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  • Qu'on se le dise les Etats européens sont bien décidés à renforcer la régulation du système bancaire en imposant aux banques toute une série de nouvelles contraintes : provisions dynamiques "through the cycle", renforcement des exigences en fonds propres de type tier 1 ou "super tier 1" (qu'on appelle aussi TCE pour "tangible common equity"), encadrement plus strict des activités de marché, etc. C'est tout le sens des mesures avalisées le lundi 6 juillet au sommet de l'Eurogroupe.

    En tout cas, telle est la tonalité du message qu'on veut faire passer auprès de l'opinion publique. Celui d'un volontarisme politique à tout crin qui veut remettre dans leur bouteille les mauvais génies de la finance. Tout ira alors pour le mieux dans le meilleur des monde, et la crise financière ne sera plus qu'un mauvais souvenir, qu'on racontera aux enfants le soir au coin du feu, sur le mode I was there. Je l'ai vécue.

    Pourtant la réalité est tout autre. En creusant un peu plus en détail, on s'aperçoit que les concessions qui ont été accordées par les gouvernements européens aux banques depuis le début de la crise financière sont incomensurablement plus importantes ques les contraintes marginales entraînées par ce semblant de re-régulation.

    Les banques ont obtenu des gouvernements de relaxer les contraintes comptables qui pesaient sur leurs portefeuilles d'actifs toxiques. Par un tour de passe-passe comptable, une bonne partie de ces actifs a ainsi été revalorisée à leur coût historique, à charge pour les banques de lisser dans le temps les pertes considérables enregistrées en valeur de marché sur ces actifs. Dans le même ordre d'idées, les gouvernements européens ont demandé à l'IASB, l'organisme qui gére les normes IFRS appliquées dans l'Union, de revoir sa copie sur la "fair value", suivant en cela son homologue américain, le FASB. L'IASB est en train de s'exécuter, contraint et forcé, et devrait édicter une nouvelle norme cet automne, qui authorisera les banques à utiliser de manière plus extensive des hypothèses internes pour évaluer leurs titres financiers. Plus besoin de faire référence à des indices de marché, on abandonne le mark-to-market en cas de gros stress, au profit du mark-to-model, prélude à toutes les dérives.

    Quant au provisionnement dynamique, il a certes des avantages, dans le mesure où il peut exercer une force de rappel - dont il faudra tester l'efficacité réelle - pour contraindre les banques à limiter leurs risques en période haute du cycle économique. Mais il aura surtout pour effet de déconnecter complètement les résultats bancaires des risques réellement encourus, puisqu'il aboutira à un lissage des résultats sur plusieurs années. En espagne, où ce provisionnement a été mis en place à la suite des crises latino-américaines (Mexique, Brésil, Argentine) dans lesquelles les banques ibériques avaient laissé quelques plumes, les provisions n'ont pas empêché la bulle immobilière. Elles en ont juste transféré les risques dans des véhicules de financement spécialisés, moins sujets à ces contraintes.

    A moins d'inclure des garde-fous et d'instaurer un "level playing field" suffisamment clair entre grandes et petites banques, l'effet indirect de tous ces changements sera une opacité accrue du système bancaire, et une prime aux grands établissements qualifiés de "too big too fail". En dehors d'un cercle d'initiés, personne ne saura ce qui se passe vraiment dans les comités de direction dirigés par messieurs Baudoin Prot, Frédéric Oudéa, et consors. Ces mesures vont remettre au goût du jour les relations incestueuses entre régulateurs et régulés, avec la complicité passive des gouvernements. Tout se passera dans des salons feutrés entre des gens qui se connaissent et s'apprécient, ayant souvent fait leurs classes dans les mêmes écoles. C'est tout le contraire de la philosophie des normes IFRS, destinées à assurer une plus grande transparence des comptes financiers des entreprises, y compris des banques. C'est également une remise en cause implicite du Pilier III - dit "discipline des marchés - de Bâle II, dont l'objet était d'inciter les banques à une présentation détaillée de leurs risques. Or, si les marchés boursiers peuvent se tromper, ils exercent généralement un pouvoir bénéfique sur les entreprises à long terme, en sanctionnant les erreurs de gestion de leurs dirigeants. En limitant l'information fournie aux marchés, on limite leur pouvoir de sanction, et on compromet l'efficacité globale du système économique. 

    Qui sait réellement aujourd'hui ce que les banques ont dans leurs portefeuilles ? Même les gouvernements ont du mal à y voir clair. En empêchant le "grand déballage" par des artifices comptables que peu de gens comprennent, on renforce l'aléa moral et l'opacité du système. En vérité, les législateurs et les régulateurs sont en train de semer, sans s'en rendre compte, les germes des futures crises bancaires.

    Au lieu de se focaliser sur des mesures techniques aux effets incertains, qui de surcroît annulent le bénéfice principal des normes prudentielles et comptables actuellement en vigueur - à savoir une plus grande transparence, même au prix d'une volatilité financière accrue -, les gouvernements feraient mieux de revoir l'architecture du système de régulation financière en Europe. Les mesurettes ne sont plus permises. Il est urgent de mettre en place cette supervision financière européenne que tous appellent de leur voeux mais dont personne au fond ne veut. C'est là qu'il faut une véritable volonté politique et un dépassement des égoïsmes nationaux. Mais déjà les intérêts particuliers et les lobbys divers s'agitent et freinent des quatre fers. Dans ce domaine comme dans d'autres, l'Europe continue de pratiquer la politique de l'autruche. Le réveil n'en sera que plus douloureux.

     


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  • Le récent "rally" qu'ont connues les différentes bourses mondiales ce printemps pourrait bien toucher à sa fin.

    Les nouvelles sur le front macroéconomique et financier ne sont pas aussi bonnes que prévu pour le second semestre 2009 : révisions des perspectives de croissance à la baisse par la Banque mondiale, poursuite de l'augmentation du chômage dans les pays développés et émergents, échecs relatifs des plans de "containment' des actifs toxiques, notamment aux Etats-Unis, creusement des déficits publics et remontée du taux d'épargne privé.

    C'est pourquoi, la Banque des Règlements Internationaux n'a pas tergiversé dans son analyse sur la sortie de crise. Celle-ci sera longue et difficile, selon l'institution bâloise. Les gouvernements doivent marcher sur le fil du rasoir pour éviter de s'enfoncer dans la récession et la déflation d'un côté, et pour ne pas faire le lit de l'inflation et d'une remontée brutale des taux longs d'un autre coté. Le premier risque semble aujourd'hui maîtrisable, au vu de l'ampleur des plans de relance mis en place par les différents gouvernements du G20. Le second risque est beaucoup plus difficile à quantifier et à maîtriser. Il est de ce fait beaucoup plus dangereux.

    Cette crise est systémique dans la mesure où tous les piliers sur lesquels reposaient la croissance mondiale au cours des dix dernières années sont remis en cause : excès de consommation à crédit et déficits publics dans les pays développés, insuffisance de consommation et croissance fondée sur les exportations dans les pays en développement, notamment en Asie, maîtrise de l'inflation des biens qui se traduit par une inflation des actifs financiers. De manière plus fondamentale encore, ce sont les piliers même du système économique des cinquante dernières années qui sont atteints : organisation fordiste du travail, absence de prise en compte du coût environnemental et social de la production et de la consommation, régulations de l'Etat-providence fondées sur des réalités sociales dépassées (opposition capital-travail, patron-salarié, actif-retraité).

    Néanmoins, doit-on vraiment s'attendre à un changement systémique à la hauteur de la crise qui a secoué le monde ? 

    Si on fait un parallèle avec la Grande Dépression des années 1930, il faut se souvenir que la sortie de la Dépression n'a été effective qu'avec la seconde guerre mondiale, qualifiée par certains économistes de plus grand plan de relance dans l'histoire de l'humanité.

    Le capitalisme patrimonial qui sous-tend la vision du monde d'un grand nombre de responsables politiques et économiques a un bel avenir devant lui. Son postulat essentiel est fondé sur la maîtrise de l'inflation (c'est à dire des salaires) qui permet de garantir les revenus des rentiers et de faciliter le maintien du statu quo social. Pour autant, les institutions chargées de gérer ce patrimoine n'ont pas encore véritablement compris les enjeux liés à la mondialisation, comme en témoigne le faible poids des pays émergents dans leurs allocations d'actifs. C'est particulièrement vrai en France où ce poids n'atteint pas quelques pourcents.

    Il faudra bien se rendre compte du rééquilibrage massif qui est en train de s'opérer dans le monde, crise ou pas crise, en faveur de ces régions, les plus peuplées, avec les populations les plus jeunes, et les besoins économiques les plus importants.

    Mais la frilosité de nos élites, qui s'intéressent à peine à ce qui se passe dans ces régions, ne va pas dans le sens de l'Histoire. Il appartient aux jeunes générations de montrer le chemin et de réhabiliter la symbolique de la "nouvelle frontière". Une nouvelle frontière nécessairement située à l'Est et au Sud.

     


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  • René Magritte Le fils de l'homme

    Dans un contexte de remise en cause du capitalisme financier traditionnel, l'Investissement Socialement Responsable, qu'on désigne habituellement par son acronyme ISR ou par l'une de ses variantes telles que l'Investissement Durable ou l'Investissement Soutenable, a le vent en poupe. Après une longue période d'indifférence vis-à-vis de ce qu'il faut bien appeler un OFNI (Objet Financier Non Identifié), tous les grands gestionnaires de fonds de la place s'y mettent : fonds ISR monétaires, SICAV "actions durables" , OPCI soutenables, etc.

    De grands gérants institutionnels comme La Banque Postale AM ou Crédit Agricole Asset Management (CAAM) ambitionnent de devenir des leaders en France sur le marché de l'ISR. Des acteurs de petite taille comme l'UFG, filiale de gestion du groupe Crédit Mutuel Nord Europe, jusqu'à présent surtout connue pour son portefeuille d'actifs immobiliers, se glissent aussi dans la brèche et mettent en avant leur offre ISR pour se faire connaître.

    Cet engouement des gestionnaires se répercute mécaniquement sur les courtiers en valeurs mobilières - les brokers - dont le métier consiste à "vendre", au sens propre comme au figuré, les actions et obligations des sociétés cotées. Ainsi, des courtiers indépendants comme Oddo ont très tôt détecté le potentiel que pouvait représenter l'ISR pour doper leur chiffre d'affaires, et ont constitué des équipes dédiées à cette thématique.

    Ils ont été immités peu ou prou par tous les autres courtiers qui basent leur recherche ISR, soit sur des méthodologies propriétaires, donc opaques et difficilement comparables, soit sur des grilles d'analyse issues des agences de notation extra-financière. Ces agences comme VَIGEO, présidée par l'hyper-active ex-secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, constituent en effet le troisième pilier de cet industrie financière naissance.

    L'ISR représente du pain béni pour VIGEO dont l'actionnariat est composé à hauteur de 45% de grands gestionnaires financiers (Caisses d'Epargne, Crédit Agricole Asset Management, Société Générale Asset Management, etc..), à hauteur de 27% de grandes entreprises (on y retrouve les plus grandes valeurs du CAC 40), et à 28% de divers syndicats à tradition réformiste dont fait partie la CFDT. Le tryptique "actionnaire, patron, syndicaliste" et la culture du consensus social, issue du syndicalisme réformiste, fondent ainsi le "business modèle" de VIGEO et lui apportent une certaine légitimité.

    Mais on peut néanmoins s'interroger sur l'indépendance réelle de cette agence vis-à-vis de ses actionnaires puissants qui sont, par la force des choses, aussi ses grands donneurs d'ordres. Quelle crédit accorder à un rapport élogieux sur TOTAL lorsque l'on sait que le groupe pétrolier est l'un des actionnaires ? Que vaut le label VIGEO apposé sur un fonds ISR promu par CAAM ou SGAM également actionnaires de l'agence ? La crise des subprimes a montré les limites des agences notation payées par les entreprises qu'elles sont censées noter, et a mis à jour leur responsabilité, ou plutôt leur irresponsabilité flagrante, pour avoir formulé des jugements à l'emporte-pièce sur des actifs financiers qui se sont révélés pourris.

    L'ISR soulève aussi d'autres problèmes encore plus génants. Personne n'est vraiment capable de fournir une définition rigoureuse de cette approche ou "philosophie" de gestion pour la bonne et simple raison qu'il n'en existe pas. A la base, l'ISR repose sur une sélection de valeurs (actions, obligations) fondée sur des critères extra-financiers supposés apporter un "supplément d'âme" : valeurs sociales, environnementales et de bonne gouvernance. Mais il n'existe pas de méthodologie universellement admise - contrairement aux labels qualité ISO par exemple - pour qualifier le bon respect par l'entreprise émettrice de ces différents critères, et surtout pour apprécier la pondération et la hiérarchie des différents critères au sein d'une note globale. Les Suisses privilégient ainsi depuis longtemps les critères liés à l'environnement sans se soucier outre mesure de la politique sociale de l'entreprise. A l'inverse, les anglo-saxons mettent surtout l'accent sur la "corporate governance" ou gouvernance d'entreprise à travers la mise en place de comités d'audit et de rémunération indépendants. Enfin, en France, on accorde traditionnellement plus d'importance aux critères sociaux, surtout depuis la loi NRE (Nouvelles Régulations Economiques) de 2001 qui impose aux entreprises cotées de publier un rapport social et environnemental. Au niveau international une réflexion a bien été engagée, notamment par l'ONU et ses diverses agences spécialisées, pour apporter un peu plus de clarté dans ce "flou artistique". Mais rien de concret n'en est sorti, les grands lobbys financiers voyant d'un mauvais oeil la définition d'un standard ouvert et transparent, équivalent pour la finance aux logiciels libres de l'informatique, qui remettrait en cause le bien fondé des commissions parfois exorbitantes demandées aux épargnants en échange d'une supposée expertise. Un autre symptôme du manque de maturité de l'ISR est l'accent mis par les promoteurs des fonds tantôt sur la valeur éthique de la démarche, - le fameux "supplément d'âme" -, tantôt sur l'hypothétique surplus de performance financière généré à plus ou moins long terme par les fonds labellisés ISR.

    Comme le montrent bien Jacques Crémer et Christian Gollier, chercheurs en économie à l'Université de Toulouse, dans un récent point de vue publié par le journal Les Echos, "ce double discours, à la fois utopiste et vénal, trouble les épargnants dont les motivations altruistes sont contrées par la publicité sur la surperformance alors que cette dernière cherche à flatter les motivations opportunistes des autres". Les gestionnaires ne savent plus sur quel pied danser pour vendre leur fonds ISR, au risque d’étouffer cette nouvelle poule aux oeufs d'or. D'autant que d'après les études académiques les plus sérieuses, - voir à ce sujet, Investing in Socially Responsible Funds de Christopher Geczy, Robert Stambaugh et David Levin (2003) et The price of Ethics : Evidence from Socially Responsible Mutual Funds de Luc Renneboog, Jenke Horst, Chendi Zhang (2007) – l’investissement socialement responsable, ou durable, a bel et bien un coût en terme de moins-value financière par rapport à un investissement dans un fonds classique.

    Ce coût peut même atteindre jusqu’à 5% de rendement en moins par an. Cette analyse succinte montre qu’il faut sortir d’une certaine forme d’hypocrisie par rapport au prix réel qu’on attache aux critères extra-financiers et à un modèle de croissance économique durable, fondé sur des considérations qualitatives plus que quantitatives. On ne sortira du paradoxe de l’ISR qu’en attribuant une valeur – donc un prix - à des critères tels que la qualité de la vie, la solidarité inter-générationnelle ou la limitation de l’utilisation des ressources naturelles. L’ISR ne s’imposera vraiment dans le portefeuille des épargnants que quand il aura réussi sa mue et qu’il aura gagné le cœur et la raison des citoyens. Il aura alors imprégné complètement tout la sphère économique et financière et il n y aura plus de raison pour attribuer une rémunération supplémentaire - autrement dit un surprofit - à un gestionnaire d’actifs en échange d’une expertise particulière sur ce thème. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes de l’ISR : sa généralisation devrait conduire inexorablement à sa disparition, dans un processus de destruction créatrice finalement très caractéristique de l’économie capitaliste !


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  • Peer Steinbrück, l'emblématique ministre des finances allemand a laissé entendre que c'était aux actionnaires de supporter le poids des actifs toxiques accumulés par les banques. L'Etat ne prendrait en charge que les actifs considérés comme illiquides mais qui ne seraient pas définitivement compromis.

    Cette distinction faite entre actifs toxiques et actifs illiquides illustre bien l'incapacité de certains responsables politiques à tirer toutes les leçons de la crise financière.

    La valeur d'un actif financier, comme celle de tout autre bien, est avant tout fixée par la rencontre d'un vendeur et d'un acheteur sur un marché. L'absence de marché transforme vite un actif illiquide en actif toxique. Ainsi, la banque américaine Lehman Brothers a fait faillite en quelques jours seulement à la suite de problèmes de refinancement apparus sur son énorme ardoise d'actifs, détenus en garantie contre des prêts financiers accordés à des banques ou à des hedge funds. Les actifs illiquides se sont vite transformés en actifs toxiques.

    De fait, si la crise financière a révélé le risque de crédit incommensurable porté par les actifs adossés à des titres hypothécaires américains, elle a aussi et surtout mis en évidence le risque de liquidité associé à tout actif, toxique ou non, à partir du moment où un doute s'installe sur la valeur réelle de celui-ci et que le marché s'évapore.

    Comme le montre très bien Markus Brennermeier, professeur d'économie à l'université de Princeton, dans un papier qui devrait faire date, le risque de liquidité associé à des actifs financiers est intrinsèquement lié au risque de refinancement de ces actifs. Il suffit de fermer le robinet du crédit pour que le risque de liquidité augmente de manière exponentielle, et que les prix des actifs concernés s'écartent durablement de leur valeur fondamentale.

    Dans un contexte où on ne connait même pas la valeur fondamentale des titres, comme c'est le cas pour les RMBS et autres CDOs adossés à des titres hypothécaires - le seul modèle disponible, basé sur la théorie de la copule gaussienne, ayant été invalidé - la distinction entre actifs toxiques et actifs illiquides devient purement rhétorique.

    C'est pourquoi il est aberrant de vouloir séparer le bon grain de l'ivraie au motif de punir des banquiers voyous. L'intention peut sembler louable dans un monde idéal où économie et justice vont de pair, mais cette vision "morale" ne cadre malheureusement pas avec le fonctionnement des économies hyperfinanciarisées dans lesquelles nous vivons.

    Depuis Bagehot, nous savons en effet que la théorie de l'aléa moral ne résiste pas aux impératifs de l'action publique lorsqu'il y a un risque systémique important. C'est le cas aujourd'hui dans la finance mondiale. Et ça l'est encore plus en Allemagne où le système bancaire souffre d'un véritable archaïsme derrière la façade lisse du modèle rhénan, dont on nous a longtemps vanté les mérites.

    Si les grandes banques commerciales à vocation internationale comme la Deutsche Bank ou la Commerzbank ont toutes subi des pertes importantes avec la crise financière, ce qui est plus grave, c'est que certaines banques régionales, ces fameuses Landesbanken qui jouent un rôle clé dans le système bancaire allemand, - entre les banques commerciales et les caisses d'épargne - ont usé et abusé des actifs toxiques qu'elles ont emballé dans des véhicules hors bilan et packagé sous forme de fonds monétaires dynamiques.

    C'est précisément parce que les marges étaient faibles sur les métiers traditionnels des Landesbanken (prêts aux collectivités locales, refinancement des caisses d'épargne, soutien au logement et à l'industrie régionale), dans un système corseté de conflits d'intérêt en tous genres et soumis aux ingérences politiques, que ces banques publiques ont commencé à développer des activités de marché, dans les années 1990-2000, afin de dégager une rentabilité plus importante.

    Contrairement au système bancaire français ou toutes les institutions sont placées sous la supervision d'un régulateur unique, quel que soit leur statut juridique, le système des Landesbanken est caractérisé par une gouvernance qui fait la part belle aux instances politiques des Lander, comme en Bavière où la BayernLB a été longtemps considérée comme la caisse de résonance de la CSU, recyclant ses cadres dirigeants et secondant fidèlement ses objectifs politiques.

    Il est grand temps de remettre de l'ordre dans ce système bancaire. Et s'il faut mettre 200 ou 300 milliards d'euros sur la table, le réaliste Steinbrück devra s'y résoudre. Une Bad Bank chargée d'épurer les actifs toxiques est nécessaire mais non suffisante. Il faudra également une réorganisation de l'ensemble du système. A défaut, les banques allemandes risquent de se transformer en zombies dans un scénario qui rappelle étrangement le Japon des années 90.

     

    Carte des Landesbanken allemandes


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