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    Les Etats-Unis sont déterminés à mettre le problème des "déséquilibres mondiaux" à l'ordre du jour du sommet du G20 qui se tiendra à Pittsburgh du 24 au 25 septembre.

    De quoi s'agit-il au juste ?

    L'expression "déséquilibres mondiaux", traduction de "global imbalances" a été forgée par des technocrates du Trésor Américain, du FMI et de la Banque mondiale au début de la décennie 2000. Dans son acception positive, cette expression désigne la combinaison de déficits courants élevés aux Etats-Unis et de surplus monétaires dans les pays émergents. Excès de consommation d'un côté, excès d'épargne de l'autre.

    Mais sous un angle plus normatif, l'expression "déséquilibres mondiaux" a souvent été utilisée par les décideurs politiques américains pour dénoncer les manipulations auxquelles procéderaient selon eux la Chine et les autres pays exportateurs d'Asie du Sud Est pour freiner l'appréciation naturelle de leur taux de change et maintenir ainsi leur compétitivité et in fine leur surplus commercial avec les Etats-Unis.

    Ce concept est donc fondé sur une vision purement mercantiliste de l'économie, qui rappelle la bataille livrée dans les années 1980 contre le Japon, alors la bête noire des négociateurs du Department of Trade américain.

    C'est encore les déséquilibres mondiaux qui sont accusés par les Etats-Unis d'être à l'origine de la crise économique financière de 2007-2008. Une manière commode en somme de mettre la pression sur les pays émergents à un moment où ces derniers réclament, très légitimement, un plus grand poids dans la gouvernance mondiale.

    Pourtant, il n'est pas sûr qu'une résorption hâtive de ces déséquilibres soit dans l'intérêt des Etats-Unis, ni du reste de la planète. S'il y a une chose sur laquelle tout le monde est d'accord, c'est que la libéralisation des échanges commerciaux a permis un considérable gain de pouvoir d'achat pour ... les consommateurs des pays développés.

    En maintenant le taux de change du renminbi chinois et d'autres devises asiatiques à un niveau relativement faible, la Chine a exporté de la désinflation pendant des années et a permis aux ménages américains et européens d'acheter des marchandises à bon marché, dispensant ainsi les entreprises de leurs accorder des hausses salariales, l'essentiel de la marge allant dans les poches des actionnaires.

    Après le compromis fordiste des trente glorieuses (hausses de salaires compensées par des hausses de productivité), la mondialisation des années 1980-2000 a ainsi consacré "le modèle Wal-Mart": surprofits pour les actionnaires en échange de prix discount pour les salariés-consommateurs.

    Ce modèle a bien fonctionné jusqu'aux début des années 2000. Seulement le hic, c'est que les mineurs chinois du Shandong et les ouvriers des usines de Shenzhen et de Shanghai - pour la plupart des travailleurs migrants venus des régions rurales - n'ont vu aucune amélioration significative de leur pouvoir d'achat. Ne disposant d'aucune protection sociale, ces mingong comme on les appelle en Chine envoyaient leurs maigres revenus à leurs familles rurales cantonnées dans l'agriculture de subsistance, à défaut d'avoir accès au crédit et aux infrastructures de base (électricité, eau courante, moyens de transports).

    A contrario, la Chine a accumulé d'énormes réserves de change investies dans des obligations du Trésor américain à faible rendement, déprimant ainsi les taux d'intérêt mondiaux à long terme et contribuant par là même à alimenter la bulle du crédit immobilier et de la consommation aux Etats-Unis.

    Mais cette situation est en train de changer. Une révolution silencieuse est en effet en marche, loin des gesticulations des responsables politiques américains. La Chine rurale commence enfin à sortir de sa léthargie, le Parti Communiste ayant compris que seule une prospérité partagée par les villes et les campagnes permettrait durablement de préserver "l'harmonie sociale" et donc in fine son pouvoir dans un pays en pleine mutation.

    Pour ce faire, les autorités ont récemment renforcé les droits de propriété attachés à la terre, en donnant la possibilité aux fermiers de louer leur terre, et de préparer la consolidation du secteur agricole. Cette réforme est aussi importante que celle qui a permis dans les années 1990 à des millions d'habitants des villes d'accéder à la propriété de leur logement. Comme le rapporte le Wall Street Journal, les paysans chinois tirent aujourd'hui plus de 50% de leur revenu d'activités autres que l'agriculture, alors que c'était proportion était quasi-nulle il y a trente ans.

    Le corollaire c'est que le pouvoir d'achat des paysans chinois devrait connaître une augmentation considérable dans les prochaines années. La clé des déséquilibres mondiaux ne se trouve donc pas à Pittsburgh mais dans les provinces rurales chinoises du Sichuan, du Guizhou ou de l'Anhui.

    Les jours de Wal-Mart pourraient bien être comptés à mesure que l'essor de la consommation en Chine se traduira par une baisse de l'épargne excédentaire, une hausse des taux d'intérêt à long terme et une résurgence de l'inflation qui devrait ralentir la consommation dans les pays développés.

    A l'heure du du développement durable et du "moins consommer pour mieux consommer" ce n'est pas forcément une mauvaise chose...  

     


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  • Comme le raporte l'agence financière Bloomberg, Dubai World, la holding diversifiée contrôlée par l'émirat de Dubai est en négociation avec plusieurs grandes banques internationales pour la restructuration d'une dette de près de 25 milliards de dollars contractée par sa filiale d'investissement Istithmar. Cette dernière devrait d'ailleurs être liquidée pour rembourser ses créanciers, au rang desquels on compte Barclays, Royal Bank of Scotland, ou Deutsche Bank.

    Dans le monde très feutré des fonds souverains du Moyen-Orient, où les décisions se prennent à l'issue de réunions quasi-secrètes, ce type de nouvelle fait très mauvais genre. Une publicité qui n'est pas très bienvenue alors que l'émirat de Dubai est confronté à la gestion d'une dette de l'ordre de 100% du PIB.

    Mais Istithmar était-il vraiment un fonds souverain au sens conventionnel du terme ? La réponse est non. Assurément non, à en croire la philosophie d'investissement, au petit bonheur la chance, dans des actifs de prestige - économiquement inopérants - tels des palaces new-yorkais, des marinas de luxe dans les caraïbes, ou encore le vénérable Queen Elisabeth II (!) qu'on projetait de transformer en hôtel de luxe (encore un). La réponse est encore non si on en juge des ressources de ce fonds d'investissement, constituées à plus de 90% de dette.

    La réponse est trois fois non si on considère le contrôle des risques, pour le moins défaillant. L'équipe de direction constituée de vétérans de la finance, pour la plupart des expatriés anglo-saxons recrutés à prix d'or, a eu les mains libres pour se lancer dans des investissements hasardeux au plus haut du cycle, avant que la crise financière ne vienne anéantir la rentabilité supposée des différents actifs achetés.

    Cette débacle illustre bien la faillite d'un modèle de gouvernance qui manque de transparence et qui rend très peu de comptes sur l'utilisation de l'argent public ou semi-public. Un modèle qui ne suscite pas de critiques tant que l'économie se porte bien, mais qui ne manque pas de montrer ses limites en phase de retournement. 

    Contrairement à beaucoup de pétromonarchies, Dubai a la chance d'avoir un leader visionnaire, le cheikh Mohamed Al Maktoum, qui a su diversifier l'économie, moderniser les institutions et ouvrir l'Emirat au monde extérieur, en attirant au besoin les professionnels les plus qualifiés grâce à des packages défiant toute conccurence et à un régime de paradis fiscal. L'inauguration il y a quelques jours du premier métro dans la région du Golfe (si on exclut celui de Téhéran) est un symbole de cette volonté de modernisation et d'ouverture.

    Il faut aujourd'hui aller plus loin et transformer l'essai, en misant sur la qualité plus que sur la quantité, et en réorganisant les structures de gouvernance et de prise de décision. En trente ans, par sa réussite économique, l'émirat de Dubai a prouvé qu'un pays arabe pouvait sortir du sous-développement et devenir une plaque tournante entre l'Orient et l'Occident. Au delà des difficultés conjoncturelles, il faut aujourd'hui faire appel au meilleurs compétences pour imaginer la place de Dubai dans le monde post-occidental qui se prépare.

     

     

     


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  • Qu'on se le dise, l'économie américaine va mieux. C'est ce qui ressort de différents indicateurs et enquêtes réalisées au mois d'août.

    La production industrielle tout d'abord qui se redresse si l'on en croît l'indice de l'Institute for Supply Management (ISM) qui passe pour la première fois au dessus de la barre symbolique des 50 (synonyme d'expansion) à 52,9 en août après 18 mois de contraction ininterrompue de l'activité. Le regain des exportations stimulé par la baisse du dollar (actuellement au plus bas par rapport à l'euro) est en partie responsable de cette embellie.

    Le moral des consommateurs américains ensuite qui commence à se redresser, avec un frémissement de l'indice de confiance des consommateurs du Conference Board au dessus des 50 points.

    Enfin, la dernière édition du "beige book" publié par la Réserve Fédérale, une compilation d'enquêtes de conjoncture réalisées auprès des entreprises et des ménages par les 12 réserves fédérales régionales, montre également un arrêt de la déterioration et une légère reprise de l'activité dans certaines zones comme le Sud-Est (Dallas, Huston) et le Nord-Est (Boston, Philadélphie). Seul point noir, mais de taille, la Californie qui peine à se relever après avoir été frappée de plein fouet par le retournement de l'immobilier et la chute de la demande mondiale pour les produits high tech.

    L'immobilier résidentiel aussi commence à montrer des signe de raffermissement, avec un redressement de l'indice Case-Shiller qui traque les prix des transactions dans les 20 plus grandes métropoles américaines.

    Pour autant ces signes encourageants ne doivent pas faire oublier la gravité de la récession traversée par les Etats-Unis, la plus grave depuis la Grande Dépression des années 1930, avec une perte cumulée de près de 4% du PIB depuis le début de la crise économique, une destruction dramatique de la richesse immobilière et financière des ménages, une dislocation inouïe des marchés suite à la faillite de la banque Lehman Brothers, et une perte de confiance dans les institutions et les hommes, que même le discours volontariste du Président Barack Obama aura du mal à restorer.

    En réalité, derrière les signes d'amélioration conjoncturelle et de reprise boursière, l'économie américaine va toujours aussi mal. Le chômage continue de progresser et pourrait bientôt dépasser le pic de 10,8% enregistré en décembre 1982, et le taux d'épargne des ménages continue d'augmenter augurant mal d'une réelle reprise de la consommation dans les années à venir. Le moteur principal de la croissance est donc grippé pour longtemps. D'autant plus que ce moteur avait été largement soutenu par la bulle immobilière, à travers l'effet de richesse qui poussait les ménages à s'endetter d'avantage grâce à l'appréciation continue de leur patrimoine.

    La compétitivité de l'économie américaine dans son ensemble s'est dégradée après deux ans de crise financière et économique, comme le montre le dernier rapport du Forum de Davos, qui la détrône de sa première position au profit de la Suisse.  

    Et les déséquilibres macroéconomiques se sont accumulés avec un déficit courant qui reste toujours considérable et un déficit budgétaire qui explose à plus de 10% du PIB.

    La crédibilité du billet vert est aussi en perte de vitesse avec l'explosion de l'ardoise de la Réserve Fédérale, garante en dernier ressort des créances sur le dollar, qui s'est engagée dans un vaste programme de recyclage des actifs pourris hérités de la crise. Au point qu'on parle désormais ouvertement de remplacer le dollar par une monnaie internationale qui ne serait plus contrôlée par un seul pays, aussi puissant soit-il et qui n'aurait pas à subir le contrecoup de toutes les vicissitudes connues par ce pays. Même le prix Nobel américain Joseph Stiglitz, ancien vice-président de la Banque Mondiale, se déclare aujourd'hui favorable à une telle alternative sur laquelle il planche au sein d'un comité onusien !


    La vérité c'est que l'Amérique va mal, très mal. Elle a vécu au dessus de ses moyens tout en s'engageant dans des guerres ruineuses en Afghanistan et en Iraq. A la fatigue économique s'ajoute donc la fatigue stratégique d'une démocracie qui s'est fourvoyée dans une "quête d'empire" vide de sens.

    Il faudra des années pour reconstruire l'édifice politique, économique, et intellectuel laissé en ruines par les deux présidences de Georges W. Bush et l'avidité des courtiers de Wall Street. L'élection de Barack Obama est indiscutablement la meilleure chose qui soit arrivée à l'Amérique dans ce contexte. Une divine surprise qui pourrait préfigurer un véritable "turn-around" dont on décèle les premiers éléments avec l'engagement en faveur de l'écologie et la volonté de réformer le système de santé et les infrastructures défaillantes. Yes, they can ! A condition d'abandonner le messianisme prophétique, l'unilatéralisme, et l'absence de remise en cause qui ont caractérisé la période entre le 11 septembre 2001 et le 15 septembre 2008. Mais l'Amérique a-t-elle vraiment le choix ?


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  • Il semble à priori difficile de réconcilier finance et religion. La sphère financière et la sphère religieuse ont en effet leurs propres exigences et leurs propres logiques : matérielle pour l'une, spirituelle pour l'autre. Pourtant les promoteurs de la finance islamique semblent avoir réussi ce pari. C'est en tout cas l'impression qui se dégage si l'on en croît l'intérêt croissant suscité par cette "finance halal" y compris en France. Même Christine Lagarde, notre ministre de l'économie et des finances, y est favorable.

    Qu'est ce au juste que la finance islamique ? C'est au fond une transposition au cadre islamique de la vieille distinction aristotélicienne entre l'économie (oikonomia), qui désigne un ensemble de normes visant à assurer le bien-être matériel de la famille et par extension de la communauté, et la chrématistique, qui renvoie à une accumulation de richesses monétaires sans utilité sociale. En language moderne, on parlerait de distinction entre économie réelle et économie monétaire ou "financière".

    Pour ses défenseurs, la finance islamique a ainsi évité les excès de la finance conventionnelle en appliquant la condamnation coranique du taux d'intérêt, assimilé à de l'usure. Elle se rattache à l'économie réelle à travers le principe de l'adossement de toutes les transactions financières à des actifs réels : immobilier, infrastructure, matières premières, actifs industriels, etc.

    Avec un milliard de musulmans sur terre, et un regain réel ou supposé de la religiosité partout dans le monde, le "marché potentiel" pour cette nouvelle finance parait gigantesque.

    Pourtant à y regarder de près, on constate que les institutions de finance islamique n'ont pas été épargnées par la crise financière de 2007-2008 comme le rapporte l'agence de notation Standard & Poors dans un rapport récent. Elles ont été frappées de plein fouet par la raréfaction du crédit et l'extinction de la liquidité qui a suivi la faillite des grandes institutions bancaires américaines. Certaines grandes banques islamiques basées dans le Golfe, comme la Kuwait Finance House n'ont dû leur salut qu'à l'intervention massive de leurs banques centrales, prêteuses en dernier ressort ici comme partout ailleurs.

    La raison d'une telle débacle tient, à l'actif, à une prise de risque inconsidérée dans les méga-projets immobiliers qui ont fleuri ces dernières années à Dubai et dans d'autres pétromonarchies, avant de s'écrouler comme des châteaux de sable avec la crise financière. Au passif, l'explication tient à l'absence de possibilité de refinancement sur le marché de gros de la liquidité, jugé non conforme à la sharia. Ce qui se traduit in fine par une dépendance excessive vis-à-vis des dépôts bancaires, beaucoup moins faciles à mobiliser. En outre, si les banques islamiques n'ont pas investi dans les fameux subprime américains, l'exposition de nombre d'institutions aux marchés boursiers régionaux et mondiaux s'est traduite par des pertes colossales qui ont terni la réputation de ces établissements.

    La finance islamique n'est donc pas une panacée, de l'avis même de certains "scholars" très critiques, comme l'américano-égyptien Mahmoud Al Gammal pour lequel l'interdiction de l'intérêt apparaît comme un anachronisme, en contradiction avec les enseignements les plus élémentaires de la science économique moderne. Pour aller plus loin, on pourrait dire qu'en détournant les pays musulmans des vraies priorités (développement économique, lutte contre la pauvreté, promotion des libertés individuelles) le formalisme de la finance islamique ne fait que les isoler du reste du monde, au profit d'une oligarchie financière (BNP Paribas, HSBC, etc.) qui a parfaitement sû exploiter ce "filon". Au profit aussi des tendances les plus conservatrices du monde musulman, qui disposent là d'un nouveau levier pour asseoir leur pouvoir. C'est également le sentiment de Tariq Ramadan. Le théologien et philosophe controversé pointe du doigt l'hypocrisie d'un nominalisme qui cache mal le caractère élitiste de cette finance dont la dimension éthique est quasi-nulle.

    La composition des Sharia boards, ces comités de sages censés statuer sur le caractère licite des transactions financières, reflète également ces antagonismes. On y retrouve aussi bien des théologiens sans aucune expérience de la finance, que des financiers "conventionnels" venus sur le tard à la finance islamique sans avoir suivi le cursus honorum des théologiens islamiques. Enfin, les interprétations très différentes, voire divergentes, de la Sharia qu'ont les islamo-conservateurs du Golfe et les islamo-libéraux d'Asie du Sud-Est (Malaisie en particulier) révèlent le caractère mouvant de cette nouvelle finance qui s'accomode parfois d'un pur habillage juridique sur des instruments conventionnels.

    Pour autant, faut-il rejeter la finance islamique comme une hérésie tant du point de vue de la finance que de celui de la religion (islamique en l'occurence) ? C'est peut-être l'adjectif "islamique" qui pose le plus problème, en clivant et en portant en soit les germes d'une ségrégation entre musulmans et non musulmans, entre modernisateurs et tenants de la tradition, enfin entre religieux et laïcs, ces derniers existant aussi bien dans les pays occidentaux que dans certains pays dits "musulmans" comme la Tunisie, la Turquie ou encore le Pakistan.

    La finance islamique devrait ainsi retrouver sa vocation éthique originelle au lieu de se focaliser sur la compatibilité à la Sharia de telle ou telle technique financière particulière. A l'heure d'un réalignement des incitations financières (bonus des traders et des banquiers) sur les risques engagés, c'est dans le principe de partage des risques et des pertes que réside le caractère novateur de cette finance "solidaire". Certainement pas dans le recyclage des pétrodollars, n'en déplaise à Christine Lagarde.


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  • Souvenez-vous, c'était en juillet 2007. Autant dire une éternité pour les marchés financiers. La crise des subprimes venait d'éclater. Le 16 juillet 2007, il ya exactement deux ans, la banque d'investissement américaine Bear Sterns, paix à son âme, annonçait que deux de ses fonds spéculatifs avaient perdu la quasi-totalité de leur valeur suite à des investissements hasardeux dans des titres adossés à des crédits hypothécaires américains, les fameux subprimes. L'été 2007 a été mouvementé, conduisant la FED à amorcer en septembre 2007 une série d'interventions qui allaient ramener son taux directeur aux alentours de zéro à l'automne 2008. Le monde découvrait avec effroi les actifs toxiques. Il aura fallu une légère hausse des taux longs américains au printemps 2007 pour que cette crise éclate. Mais le ver était déjà dans le fruit avec un retournement du marché immobilier déjà en juillet 2006. Nous n'étions encore qu'au début de la crise financière et les esprits candides ne prédisaient encore que des conséquences très bénignes sur l'économie réelle. Fin de l'acte 1.

    Souvenez-vous, c'était en septembre 2008. La banque Lehman Brothers annonçait qu'elle était à cours de liquidités. Ne pouvant mobiliser son énorme ardoise d'actifs toxiques, et n'ayant pu obtenir un prêt de la Réserve Fédérale ou du Trésor Américain pour hônorer ses engagements à court terme, Lehman Brothers déclare faillite. La crise de liquidité de l'automne 2007 et du printemps 2008 se transforme en crise financière généralisée. Les bourses chutent emportant toutes les classes d'actifs dans leur sillage : actions, obligations, matières premières. La volatilité est inouïe. De mémoire de trader on n'avait jamais vu ça. L'indixe VIX américain, surnommé l'indice de la peur, atteint un record historique. La confiance dans l'économie s'écroule aux Etats-Unis comme dans le reste du monde. Le mot de récession est lâché. Le NBER établira que les Etats-Unis étaient entrés en récession dès décembre 2007. Fin de l'acte 2. 

    Voilà nous y sommes. C'est l'été 2009. On se préoccupe plus des vacances que des marchés financiers, qui tournent au ralenti. En cette fin de l'an II de la crise financière, on nous annonce déjà la sortie de la récession pour la fin de l'année, et tant pis si la reprise sera laborieuse et que les dettes publiques explosent. La crise financière ne serait plus qu'un mauvais souvenir exorcisé à coup de sommets du G20 et de plans de régulation financière les "plus ambitieux depuis les années 1930" (dixit le Président Barack Obama).   

    Pas si vite.

    Un nouveau grondement sourd des profondeurs de la finance, avec des frémissements qui vont des steppes kazakhes aux trading floors londoniens et new-yorkais. De quoi s'agit-il au juste ? Hé bien, tout simplement de la plus grande bombe à retardement financière qui ait jamais été inventée : les CDS ou Credit Default Swaps. Une bombe dont la puissance de déflagration pourrait être cent fois supérieure à celle des subprimes, avec un encours mondial de plus de 40000 milliards de dollars en décembre 2008 ! Oui, vous avez bien lu 40000 milliards de dollars. 

    Le débat sur les CDS était cantonné jusqu'à présent à une sphère purement technique, l'objectif étant de sortir de l'ombre ces titres dont on ne connaît ni les détenteurs finaux, ni la valeur réelle, ni les contreparties, et de rationaliser ces marchés à travers la mise en place de chambre de compensations centralisées. Un débat d'experts et d'initiés qui devait rester comme tel.

    Mais voilà. Le Département de la Justice Américain vient d'ouvrir une investigation pour en savoir plus sur ce marché, caractérisé par sa structure fortement oligopolistique. Opération vérité et transparence. Premier visé, la société Markit, fournisseur de l'information financière sur ces instruments. Du moins, fournisseur du peu d'information qui circule, l'essentiel des transactions ayant lieu, comme on dit, Over The Counter (OTC), autrement dit de gré à gré.

    Le débat sur les CDS vient de prendre aussi une tournure beaucoup plus politique au Kazhakstan, comme le rapporte le Financial Times. Oui, ne riez pas. Cela n'a rien d'une blague potash (sic) à la Borat. Pendant des années les banques occidentales ont prêté des sommes considérables aux banques kazakh, qui roulaient sur l'or grâce au pétrole et aux autres ressources naturelles dont le pays regorge, recyclant ces liquidités dans des projets à la rentabilité plus que douteuse. C'était avant la crise financière et la chute du prix du pétrole. Aujourd'hui, les banques kazakh sont aux abois. La plupart ont été nationalisées par le gouvernement ou sont en passe de l'être. Or, pour ce couvrir les banques occidentales avaient souscrit ces fameux CDS qui les protègent en cas de défaut de leurs clients kazakhs. Une assurance tout risque, en somme. Le problème c'est que ces mêmes banques sont aujourd'hui tentées de spéculer sur les CDS, dont le prix augmente quand la probabilité de défaut de la contrepartie augmente. La banque Morgan Stanley est ainsi soupçonnée d'avoir favorisée à dessein la banqueroute de la plus grande banque kazakh, la BTA, pour pouvoir actionner les "airbags financiers" et empôcher une belle plus-value au passage. Assurément, là on ne rigole plus. Morgan Stanley a beau démentir, elle n'en est pas moins dans une situation délicate. Précipitez la BTA dans la faillite et c'est tout un pan du système financier kazakh qui s'effondre.

    En vérité, le risque lié aux CDS est bien plus grave que tout ce que l'on a connu au cours des deux dernières années. Le pire n'est pas certain, mais tous comme les ogives nucléaires, ces instruments ne sont pas à mettre entre les mains de n'importe quels spéculateurs, qui pourraient être tentés de jouer le Grand soir financier, emportant au passage toute l'économie mondiale dans un gouffre béant. Il est encore temps d'agir, mais le temps est compté.


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