• Iran : l'impasse des sanctions

    (Chronique initialement publiée sur le site du monde.fr. Retrouvez l'original)

    Alors que le Conseil de Sécurité de l'ONU vient d'adopter un quatrième round de sanctions contre l'Iran – avec un vote négatif du Brésil et de la Turquie —, il convient de s'interroger non seulement sur la pertinence, mais aussi sur le caractère potentiellement dangereux de cette stratégie qui montre aujourd'hui clairement toutes ces limites.

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    Ces sanctions constituent une victoire pour la Secrétaire d'État américaine Hillary Clinton qui apparaît de plus en plus comme un faucon au sein de l'Administration Obama, avec un ensemble de prises de position tranchées (notamment sur le conflit israélo-palestinien) qui la rapprochent bien plus du « jusqu'au-boutisme » va-t-en-guerre de George W. Bush que de la logique d'apaisement et de rééquilibrage prônée par le Président Obama dans son discours du Caire ou dans son discours de réception du Prix Nobel de la Paix.

    La persévérance dans une sorte de harcèlement à basse intensité du régime iranien rappelle en effet les mois qui ont précédé l'invasion de l'Iraq en 2003 durant lesquels la stratégie du gouvernement américain a consisté à essayer de convaincre progressivement leur opinion publique et leurs alliés au sein de l'OTAN du caractère inévitable d'une intervention armée, après avoir simulé l'épuisement de tous les recours diplomatiques. Il est donc fort à parier que les États-Unis demanderont – directement ou via leurs alliés atlantistes – un renforcement des sanctions contre l'Iran avec le vote d'un cinquième voire d'un sixième paquet de sanctions, en poursuivant toujours dans la même logique aveugle, inefficace et contre-productive.

    Au-delà du caractère finalement assez dérisoire de ces nouvelles sanctions qui ont toutes les chances d'être contournées et invalidées par les autorités iraniennes et leurs opérateurs économiques et financiers (voir à ce sujet l'article de Jo Becker dans le New York times dater du 7 juin 2010), il n'est pas certain que cette victoire à la Pyrrhus soit dans les intérêts des États-Unis à moyen et long terme. Si l'objectif officiel est de stopper le programme nucléaire iranien, les États-Unis ont en réalité depuis longtemps abandonné toute illusion à ce sujet. L'objectif officieux est plutôt d'étouffer l'Iran économiquement afin de lui faire renoncer à sa volonté de puissance régionale et d'amener une éventuelle implosion du régime théocratique ainsi que le montre le soutien très intéressé des États-Unis au « printemps de Téhéran » de 2009 dont plusieurs figures importantes ont depuis lors pris leur distance avec la contestation populaire un peu trop vite assimilée à l'émergence d'une « société civile ».

    Le concept de « société civile » brandi par les médias et les analystes occidentaux s'avère lui-même trompeur du fait de son périmètre à géométrie variable et des soupçons qui pèsent sur sa manipulation par des forces politiques. Il faut faire preuve d'un degré conséquent d'irréalpolitik – selon un néologisme forgé par Hubert Védrine – pour croire qu'une évolution du régime iranien puisse se faire sous la pression de la rue, en court-circuitant les mécanismes de délibération politique qui existent au sein du système institutionnel. À titre d'analogie, et sans remonter jusqu'aux événements de Tian An Men en 1989 ou à l'essoufflement du printemps démocratique russe de 1991, il est bon de rappeler que le rêve des « révolutions de couleurs » de ces dernières années a tourné à la désillusion dans la plupart des pays qui en ont connu, de l'Ukraine à la Géorgie. Ainsi que l'exprimait avec clairvoyance feu Samuel Huntington la « société civile » ne s’avère souvent rien de plus qu'un leurre instrumentalisé par des forces politiques organisées disposant de relais médiatiques puissants.

    Ainsi, Washington n'a toujours pas renoncé à l'idéologie néo-conservatrice du changement de régime et de la démocratisation par la force même après les fiascos irakiens et afghans, et même après avoir redoré son blason avec la colombe de la paix brandie à coups de discours à tonalité wilsonienne par le Président Obama. Outre qu'elle est inefficace et dangereuse, cette stratégie qui vise à faire apparaître l'Iran comme un État voyou isolé sur la scène internationale méconnait profondément l'évolution des rapports de force internationaux intervenue au cours de la dernière décennie avec l'émergence d'une nouvelle diplomatie Sud – Sud, illustrée par l'accord Téhéran – Ankara – Brasília conclu en mai dernier.

    Cette nouvelle diplomatie vise à refonder un ordre international qui reflète l'évolution des rapports de force en pointant du doigt les structures de sécurité collective et de gouvernance mondiale qui n'ont pas évolué en soixante ans. Ainsi, la volonté de faire respecter à la lettre le Traité de non-Prolifération (TNP) nucléaire de 1968 par les États qui l'ont signé — dont l'Iran — tout en passant sous silence la prolifération nucléaire hors traité – celle de l'Inde, du Pakistan ou d'Israël – lorsqu'elle concerne des États alliés de la superpuissance américaine vide le TNP de sa portée et de son autorité morale. Sans parler des puissances nucléaires officielles – les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité – dont l'engagement de dénucléarisation contenu dans le TNP a été remisé aux calendes grecques si l'on en juge par la portée très limitée des accords de désarmement conclus entre les États-Unis et la Russie.

    Au-delà des intérêts commerciaux importants que des pays comme la Russie ou la Chine entretiennent en Iran, leur adhésion du bout des lèvres aux sanctions contre l'Iran – après en avoir édulcoré le contenu – témoigne de leur embarras de puissances à la fois ancienne et nouvelles dans l'ordre international qui se dessine. Leur position ambigüe vient de leur réticence à modifier un système dont ils bénéficient de certains points de vue – à travers leur siège permanent au Conseil de Sécurité – tout en dénonçant l'hégémonie américaine en matière économique et financière et en critiquant l'unilatéralisme des États-Unis. Il leur faudra néanmoins choisir entre un statu quo ex ante qui ne correspond plus à la réalité géopolitique et un accompagnement de l'émergence de ce monde multipolaire dans lequel ils sont assurés en tant que BRICs de jouer un rôle important.

     


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