• Introduction en bourse de Agricultural Bank of China

    Mon intervention dans le journal de l'économie de RFI

     

    Et ma chronique publiée sur le site Lemonde.fr (retrouvez l'original à l'URL suivante).

    Paradoxes de la finance chinoise

    chronique : Paradoxes de la finance chinoise

    par Alexandre Kateb, Economiste, Directeur du cabinet COMPETENCE FINANCE

    L’introduction en bourse de l’Agricultural Bank of China (AgBank) s’annonce comme la plus grosse opération d’ouverture du capital de tous les temps. L’opération devrait permettre de lever plus de 22 milliards de dollars, dépassant celle déjà considérée comme historique de l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC) réalisée avant la crise financière des subprimes.

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    Avec cette introduction en bourse d’un mastodonte financier - la plus grande banque au monde par le nombre de clients évalués à 350 millions, soit plus que toute la population des États-Unis —, la Chine envoie un message très fort au reste du monde. Une époque est définitivement révolue celle de la domination de Wall Street sur la planète finance. Désormais, les banquiers qui comptent se trouvent dans les pays émergents (Chine, Inde, Brésil) et le couple « Shanghai — Hong Kong » pourrait remplacer le couple « New York — Londres ». Ce n’est qu’une question de temps.

    Pourtant, l’introduction en bourse d’AgBank révèle les paradoxes de la finance chinoise et plus généralement de l’évolution très particulière du capitalisme chinois. Comme le rapporte le Wall Street Journal , le management de la banque n’a cessé de cultiver un double discours dans la période précédant l’ouverture du capital, rassurant les investisseurs d’une part sur le profil de la banque publique en insistant sur son positionnement sur les segments les plus dynamiques du marché (entreprises répondant au boom de la demande domestique), tout en promettant de rester « la banque des agriculteurs », ce qui était sa vocation originelle à sa création au début des années 1980.

    On serait pourtant bien en peine de trouver un seul fermier chinois qui a bénéficié du concours financier de l’Agbank. Le journaliste du Wall Street Journal en a fait l’expérience en menant son enquête. En réalité les fermiers chinois tout comme les petits entrepreneurs urbains recourent surtout à l’autofinancement, aux amis et à la famille pour obtenir les fonds nécessaires au développement de leur activité.

    Entre une « vocation sociale » affirmée par le discours officiel — la banque contribue officiellement à la réalisation des « Trois objectifs » de la politique gouvernementale à destination des campagnes : soutenir les industries agricoles, améliorer les infrastructures dans les communautés rurales et les conditions de vie des fermiers — et le désir d’être un acteur financier à part entière avec une logique de rentabilité économique éprouvée, AgBank témoigne de la rupture définitive avec les postulats du « socialisme de marché » que Deng Xiaoping avait essayé de mettre en place entre 1978 et 1992, date de son « voyage dans le Sud » au cours duquel il avait finalement donné l’impulsion décisive à une accélération de la libéralisation économique avec le démantèlement progressif des grandes entreprises publiques déficitaires, la recapitalisation des banques publiques et l’entrée de la Chine à l’OMC.

    On peut dire que ces objectifs ont été atteints et même dépassés aujourd’hui. L’économie chinoise d’aujourd’hui fait penser aux années 1920 aux États-Unis, avec un boom débridé de la construction, des transactions financières de plus en plus impressionnantes et des opérations industrielles qui permettent de faire fortune en l’espace d’une décennie. Le cœur de ce capitalisme chinois ne se trouve ni à Pékin ni à Shanghai, mais à Chongqing, surnommée la Chicago chinoise, une immense mégalopole située à l’intérieur des terres au confluent des fleuves Jianling et Yang Tsé et qui fut la capitale du gouvernement nationaliste de Tchang Kai Tchek avant son exil à Taïwan. La ville est prise en quasi-permanence dans un fog qui empêche d’y voir à plus de dix mètres et possède une réputation sulfureuse, car elle abriterait de puissants réseaux mafieux datant de l’époque impériale — les fameuses sociétés secrètes ou Triades — dont le gouvernement communiste n’a jamais vraiment pu venir à bout. Un univers où la collusion entre le monde des affaires, le monde politico-administratif et le crime organisé est notoire.

    L’invocation des politiques sociales par AgBank est une sorte de passage obligé imposé par l’inertie des structures politiques en Chine, mais cette invocation s’apparente à un clin d’œil désabusé — à la Goodbye Mao ! — à un monde qui n’existe plus que dans les livres d’histoire.


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