• G20 : autopsie d'un sommet mort-né

     Le Conseil des Quatre à la Conférence de Paris (1919) : Lloyd George, Vittorio Orlando, Georges Clémenceau, Woodrow Wilson

    "Le sentiment d'une catastrophe imminente dominant la frivolité du spectacle, - la vanité et  la  petitesse de l'homme en face des grands événements, qui s'opposent à lui, - le sens confus et 1'inexistence des décisions, - la légèreté, l'aveuglement, l'arrogance, les cris confus de l'extérieur, - tous les éléments de l'ancienne tragédie y étaient. (..) Les décisions semblaient grosses de conséquences pour l'avenir de l'humanité, et cependant l'air murmurait alentour que le mot ne prenait pas corps et qu'il était vain, sans valeur, sans effet et bien loin de la réalité. On avait fortement l'impression dépeinte par Tolstoï, dans La guerre et la paix, ou par Hardy, dans Chedynastes, d'événements poursuivant leur route vers leur conclusion fatale, sans être influencés ou touchés par la frénésie des hommes d'État réunis."

    Ces propos au caractère prémonitoire sont ceux de John Meynard Keynes dans son livre "Les conséquences économiques de la paix" (1919), dans lequel il dressait le bilan de la Conférence de Paris de janvier 1919 organisée au lendemain de la première guerre mondiale. Gageons qu’ils pourraient tout aussi bien s’appliquer au sommet du G20 qui devrait se tenir à Londres le 2 avril.

    Nous avons déjà fait part de notre scepticisme quant aux résultats de ce sommet dans un précédent article. Le cours des événements et la valse des hésitations et des renoncements ne fait que conforter cette analyse.

    Il y a trois raisons fondamentales qui nous font douter de la réussite de ce G20.

    Premièrement, l’absence d’une vision claire et partagée sur les causes de la crise économique et financière – ou de la Grande Récession, selon l’expression de Dominique Strauss-Kahn – que nous vivons actuellement. 

    Pour les uns, Etats-Unis et Royaume-Unis en tête, c’est une crise de la régulation qui résulte d’un excès de confiance dans la capacité des marchés financiers à s’autoréguler, et d’une défaillance concomitante des autorités de régulation qui ont privilégié le « laisser faire » et qui n’ont pas prêté suffisamment attention aux indicateurs d’alerte, dans le rouge les uns après les autres (excès d’endettement des ménages américains, valorisation excessive de l’immobilier, bulle sur les marchés boursiers développés et émergents, spéculation sur les matières premières, etc.). En somme, une crise de plus qui s’ajoute à toutes celles que le capitalisme a connu depuis deux cent ans, mais qui ne remettent pas fondamentalement en cause les bases idéologiques du système.   

    Pour les autres, Chine et Russie en tête, plus qu’une crise de la régulation c’est une crise financière et monétaire à fort contenu idéologique à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Selon ces pays, nous vivons la fin d’une époque qui a vu l’abandon de la régulation des changes au niveau international, dans les années 70, et l’imposition progressive d’un modèle de pensée néo-libéral dominé par les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux, dont la diffusion au reste du monde, assurée par le FMI et la Banque mondiale, s’est accélérée depuis la chute du mur de Berlin. Pour les puissances non occidentales, cette crise, symbolise donc la fin de la Pax americana imposée au monde par l’alliance du dollar  – déclaré, de facto, monnaie de réserve internationale – et de la canonnière, qui s’est illustrée récemment en Irak et qui lorgne maintenant sur l’Iran.    

    L’Europe continentale, avec ses deux puissances moyennes que sont la France et l'Allemagne, traditionnellement en retrait dans la finance internationale et militairement dépendante des Etats-Unis, tente bien de concilier les différents points de vue. Pour faire bonne figure, elle prêche à qui veut l’entendre la nécessité d’une refondation « morale » du capitalisme financier et d’un rééquilibrage des rapports de force économiques mondiaux. Mais sa partition sonne faux en l’absence d’une unité politique digne de ce nom. L’Europe apparaît de plus en plus marginalisée dans le grand enjeu géopolitique du XXIème siècle : la confrontation Chine –Etats-Unis.

    On comprend dès lors que partant d’un diagnostic et d’un agenda propre à chaque pays ou groupe de pays, il ne peut y avoir de consensus sur une véritable refondation du système financier international.

    Deuxièmement, les solutions avancées par les uns et les autres pour sortir de la crise, sont tributaires d’histoires économiques et de cultures politico- administratives très différentes d’un pays à l’autre.

    Comme l’a très justement fait remarquer Philippe Dessertine dans son essai intitulé « Ceci n’est pas une crise (juste la fin d’un monde) », l’Europe est hantée par le spectre de l’hyper-inflation connue par l’Allemagne dans les années 1930. Les Etats-Unis quant à eux sont surtout focalisés sur le danger de la déflation qui avait fait plonger leur économie dans la Grande Dépression. C’est pourquoi la réponse de la Réserve Fédérale, qui a injecté massivement du cash dans l’économie dès les premières soubresauts de la crise à l’automne 2007, diffère sensiblement de celle de la Banque Centrale Européenne qui, en digne héritière de la Deutsche Bundesbank, a attendu l’automne 2008 pour baisser son taux directeur.

    Une autre différence culturelle marquée existe entre les pays régis par la Common Law (le Royaume-Uni et ses anciennes colonies, dont les Etats-Unis), et les pays régis par le droit civil romain (Europe continentale, Japon, et leur anciennes colonies). Les premiers font beaucoup plus confiance aux contrats et aux conventions, et recourent à une régulation esquissée à coup de grands principes (principles based regulation), qui laisse une grande liberté aux agences indépendantes pour énoncer des règlements, et aux juges pour interpréter la loi. Les seconds ont tendance à vouloir tout réglementer jusque dans les détails les plus contingents. Curieusement, les normes comptables constituent une exception à cette tendance générale, puisque les normes américaines US GAAP, contrôlées par l’Etat, sont beaucoup plus précises que les normes IFRS adoptées par la Commission Européenne, mais contrôlées par un organisme privé, l’IASB. C’est le cas notamment pour la définition de la fair value, aujourd’hui au cœur de toutes les controverses.

    Quoi qu’il en soit, ces différences culturelles se traduisent naturellement par un alignement sur le « moins disant » réglementaire, en l’occurrence sur la « soft law » des pays-anglo-saxons, dont on s’accorde pourtant à dire qu’elle est responsable de la crise, à trop faire confiance aux incitations privées alors que celles-ci étaient viciées. Et tous les « codes de bonne conduite » volontaires ne changeront rien aux problèmes d'aléa moral dont regorge la finance moderne.        

    Troisièmement, ce sommet devrait échouer non parce qu’il manque d’ambition, mais au contraire, paradoxalement, parce qu’il en a trop.

    Comme je l’avait déjà écrit auparavant, les gouvernements ont délibérément fait monter les enchères et le buzz médiatique autour de ce sommet, essentiellement pour des besoins d’affichage électoral. Le G20 est ainsi apparu dans l’esprit du public, au fil des mois et des semaines, comme une sorte de Grand Soir qui permettrait de résoudre l’ensemble des problèmes de la planète, de la crise financière à la crise alimentaire, en passant par la crise énergétique. Les médias ont aussi leur part de responsabilité dans cette affabulation en reprenant le discours officiel, et en occultant les voix discordantes.

    Partant de diagnostics et d’approches culturelles aussi différentes, on ne pouvait déboucher que sur des propositions divergentes.

    Les Américains et, dans une moindre mesure, les Britanniques, mettent l’accent sur la nécessité d'une relance économique coordonnée au niveau international, tout en essayant d'imposer leur propre dogme en matière de réforme financière – axée avant tout sur la recapitalisation bancaire et le containment des actifs toxiques. Mais le discours sur la relance mondiale s’apparente, en filigrane, à une manoeuvre de diversion pour préserver la compétitivité de leur industrie financière d'un excès de zèle réglementaire. En recadrant le Congrès sur la question des bonus des dirigeants de banques et des traders, Barack Obama ne dit pas autre chose. 

    Les Européens, emmenés par la France et l’Allemagne, veulent quant à eux renforcer drastiquement les contrôles sur les acteurs de la finance mondiale, tout en limitant leurs engagements budgétaires. En montrant du doigt les hedge funds et les paradis fiscaux, ils répondent opportunément à une demande de leurs opinions nationales, mais ils s’exonèrent d’une réflexion plus profonde sur les insuffisances de la régulation financière européenne.

    Les uns et les autres sont accusés d’égoïsme et de vision à court terme par les puissances émergentes comme la Chine et la Russie qui préconisent un Bretton Woods II, avec une nouvelle monnaie internationale de réserve, une véritable repondération des voix au FMI et la création de nouvelles agences internationales. Ce dont les Américains et le Européens ne veulent pas, tant pour des raisons stratégiques que budgétaires.

    En conclusion, il n’est pas difficile de voir que le sommet du G20 sera victime des ambitions démesurées qu’il suscite, des cultures et des visions du monde fondamentalement divergentes de ses participants. L'échec de la Conférence de Paris en 1919 était patent. Et seul un sentiment d’urgence comme celui qui prévalait au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec le péril communiste et la décolonisation, avait abouti à une véritable refondation du système international en 1945. Soixante ans plus tard, la donne a radicalement changé, les pays occidentaux n’ont plus les clés de la croissance mondiale. Mais ils disposent encore de ressources suffisantes pour bloquer toute mutation profonde du système. Comment expliquer sinon que la quote-part de la Chine au FMI soit égale à celle de la Belgique  ?

     

     


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