• Source : Michael Kountouris, Politicalcartoons.com

    La dégradation du rating de la dette grecque à la catégorie spéculative (de BBB+ à BB+) par l'agence Standard&Poors rapproche le pays d'un défaut qui semble de plus en plus probable malgré les affirmations contraires des responsables nationaux et européens

    La récente dégradation du rating de la dette grecque par l'agence Standard & Poors vers la catégorie spéculative (de BBB+ à BB-), en deçà de la notation de nombreux pays émergents, ne devrait pas être une surprise pour les analystes des marchés dans le contexte d'incertitude qui prévaut sur le volume et l'urgence de l'aide apportée par les autres pays de la Zone Euro (30 milliards d'euros ou plus ?), s'ajoutant à celle du FMI qui s'engage désormais à apporter 25 milliards d'euros d'aide. L'incertitude est encore plus grande concernant le caractère suffisant de cette aide pour assurer la solvabilité de la Grèce sur le moyen-long terme qui apparait plus compromise que jamais.

    Un simple calcul de coin de table suffit à se rendre compte de l'ampleur des problèmes. Avec un déficit public qui avoisine les 14% du PIB en 2010 (selon les dernières projections d'Eurostat qui seront probablement encore révisées à la hausse) et une croissance négative du PIB (autrement dit une récession) qui pourrait atteindre -3% à -5% du PIB en 2010 qui est due à la fois au retournement conjoncturel qui frappe le pays depuis 2008 et à l'effet des plans d'ajustement structurel annoncés depuis le début de cette année, la dette grecque pourrait mécaniquement passer de 120% du PIB en 2010 à 140% - 150% en 2011 et à 180% - 200% du PIB en 2012. Soit un ratio de dette équivalent à celui du Japon. A la différence près que le coût de refinancement de la dette japonaise est inférieur à 2% alors qu'il dépasse les 10% dans le cas grec. Le même calcul de coin de table montre que pour stabiliser le niveau de la dette publique il faudrait que le pays dégage un excédent primaire (avant paiement des intérêts de la dette) équivalent à 15% du PIB en 2010-2011. Ce qui est tout simplement inimaginable. Même avec un crédit "bonifié" à 5% du FMI et des autres pays de la zone Euro, la stabilisation de la dette exigerait un solde primaire de l'ordre de 10% pendant plusieurs années. Le coût social d'une telle politique serait proprement insupportable dans un pays où les fonctionnaires représentent un cinquième de la population, où le taux de chômage pourrait atteindre 15% d'ici la fin de l'année et où les effets de redistribution du revenu à travers l'économie parallèle reposent en grande partie sur les dépenses de ceux qui ont un emploi "en dur".   

    La Grèce apparaît dans la même situation que la Russie avant 1998 ou que l'Argentine avant 2001, avec des finances publiques au bord de l'implosion et un taux de change réél surévalué qui se traduit par une dégradation très forte de la compétivité du pays. La crise économique mondiale a été ressentie ici beaucoup plus durement que dans d'autres pays européens compte tenu du caractère déséquilibré de la croissance essentiellement fondée sur l'endettement. Contrairement à d'autres pays comme l'Espagne ou le Portugal la Grèce n'a pas profité des années de boom pour améliorer la situation de ses finances publiques. Et contrairement à la Russie ou à l'Argentine elle ne peut pas restaurer sa compétivité et annuler une partie de sa dette en dévaluant sa monnaie.

    Le défaut paraît donc inévitable à plus ou moins brève échéance. La seule incertitude concerne la nature de ce défaut. S'agira-t-il d'un défaut ordonné avec une restructuration de la dette moyennant la négociation d'une décôte supportée par les investisseurs (S&P parie clairement sur un tel scénario) ou un défaut sauvage qui fermerait à la Grèce pendant de longues années l'accès aux marchés financiers. Dans ce cas de figure, ce sont les autres pays de la zone Euro qui devront soutenir la Grèce à bout de bras pendant plusieurs années. Avec une charge de refinancement de la dette existante de l'ordre de 60 à 70 milliards d'euros par an cela équivaut à un abandon du "pacte de stabilité" qui lie moralement les pays de la Zone Euro entre eux. L'électorat allemand qui s'impatiente déjà n'acceptera pas ce scénario dans lequel l'Allemagne serait obligée de payer la plus grosse contribution, alors qu'elle est déjà un créditeur net de l'Union Européenne. Autant dire que ce scénario est inenvisageable.

    Le coût d'un défaut est élevé en terme de réputation non seulement pour la Grèce mais pour l'ensemble de la Zone Euro car il se traduira nécessairement par une hausse généralisée des primes de risque sur les dettes des différents Etats membres de la zone. Y compris sur la dette allemande qui est liée au sort des autres pays de la zone, qu'elle le veuille ou non. Mais le coût de l'attentisme et de l'inaction sont plus importants encore. Plus en attend et plus les problèmes s'accumulent et plus "l'effet domino" menace d'emporter dans la tourmente d'autres pays européens comme le Portugal qui vient de subir lui aussi une dégradation de son rating par l'agence S&P (de A+ à A-).

    Nous avions déjà appelé à la création d'un fonds monétaire européen dans un précédent article. Aujourd'hui des mesures encore plus énergiques sont nécessaires. Le sommet extraordinaire des pays de l'Union convoqué par Guy Van Rompuy ne pourra se contenter de mesures cosmétiques ou de propos rassurants. Il faut d'urgence mettre en place un gouvernement de la zone euro et instaurer un système de solidarité fiscale assorti de règles d'intervention et de sanctions claires en cas de non respect des normes communes. On ne peut plus continuer à marcher sur une seule jambe avec une politique monétaire commune et des politiques budgétaires et fiscales désordonnées. Il est temps de mettre en place ce gouvernement qui peut être rapidement opérationnel en utilisant les mécanismes de coopération renforcée prévus dans le Traité de Lisbonne. Le temps presse. La tragédie grecque pourrait bien devenir une tragédie européenne, aux conséquences encore plus graves.


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  • Drôle d'époque en vérité que celle que nous vivons. Il y a un an, lors du premier sommet du G20 à Londres on nous promettait le big bang en matière de réforme du système financier. Nous avions alors dénoncé ce que nous percevions comme un volontarisme de façade qui allait bientôt se heurter à la réalité d'un monde où ce ne sont plus les Etats qui font les marchés, pour paraphraser le grand Karl Polanyi, mais les marchés qui défont les Etats. L'explosion du coût de refinancement de la dette grecque dans une cacophonie de voix discordantes en est une preuve éclatante.

    Par ailleurs, l'échec des différents participants au sommet "technique" du G20 organisé vendredi dernier à Washington à se mettre d'accord sur un projet de sur-taxation des banques reflète également ce sentiment d'absence de coordination entre Etats. Les représentants du Canada ont mené la fronde en arguant qu'après tout leur pays était souverain et qu'il pouvait faire ce qu'il voulait en matière fiscale. Le système bancaire canadien a en effet bien résisté à la crise grâce à une régulation exemplaire et adaptée aux spécificités des banques locales. Idem pour les banques des pays émergents qui s'en sont bien sorties pour la plupart. Ce qui n'est pas le cas des institutions "too big to fail" anglo-américaines au coeur de la crise des subprimes.

    Ces divergences sont légitimes mais elles masquent l'absence de vision partagée sur la finalité du processus de réforme actuel. S'agit-il de reconstituer des marges de manoeuvre fiscales pour des gouvernements sur-endettés ou de constituer des liquidités pour gérer la prochaine crise financière, ou les deux à la fois ? S'agit-il simplement de limiter le risque systémique - ce qui est en soi déjà assez complexe - ou de remettre en question de manière encore plus radicale l'hypertrophie du secteur financier dans son ensemble ? S'agit-il de "punir" les apprentis sorciers de la finance ou de casser à jamais les ressorts de la spéculation financière ? L'absence de réflexion sur les finalités de la réforme obère son efficacité réelle et affaiblit la crédibilité de ses promoteurs. Même aux Etats-Unis où le Président Barack Obama affiche sa détermination à en finir une fois pour toute avec "la mentalité du too big to fail", il est fort à parier que les propositions de réformes de son sherpa, l'ancien gouverneur de la Réserve Féderale Paul Volcker, sortiront très édulcorées des fourches caudines du processus législatif américain.

    De son côté, le projet de réforme des normes sur les fonds propres confié au Comité de Bâle - on parle déjà d'un Bâle III - semble recueillir des commentaires très réservés, quand ils ne sont pas franchement hostiles, de la part des différents lobbys bancaires nationaux (voir à ce sujet le "coup de gueule" d'Ariane Obolensky dans Les Echos) en arguant que l'arsenal de nouvelles mesures restrictives sur la définition des fonds propres ou sur la mise en place de "coussins de liquidité" contra-cycliques aboutiraient irréductiblement à la disparition de pans entiers de l'activité bancaire et à un renchérissement du coût du crédit dommageable pour toute l'économie. 

    Et même les poursuites lancées par la SEC contre la banque Goldman Sachs, aussi détestée aujourd'hui qu'elle était adulée et enviée au plus fort de l'euphorie financière - l'envie et la haine n'étant bien souvent que les deux faces d'un même désir mimétique girardien - risquent bien de n'aboutir qu'à des condamnations morales de pure forme assorties d'une mise à l'écart des protagonistes les plus impliqués dans la "magie noire" des subprimes. Au demeurant, il est très difficile de faire la part des choses entre un conflit d'intérêt - ce dont est accusée la "firme" - et une pratique normale, dans un environnement réglementaire où les différentes activités pour compte propre et pour le compte de la clientèle peuvent être pratiquées tout à fait légalement par les mêmes entités juridiques (depuis l'abolition du Glass-Steagall Act dans les années 1990).  

    Tous ces couacs révèlent l'incapacité des Etats à construire un nouveau système financier international après l'écroulement du système de Bretton Woods dans les années 1970. Les différentes tentatives en ce sens, des accords du Plaza en 1985 aux réformes actuelles en passant par la création du Forum de stabilité financière en 1999 (après la faillite du hedge fund LTCM) sont vouées à l'échec tant que la question centrale, celle de la création de liquidité à l'échelle mondiale - et de son corollaire, l'effet de levier "macro-financier" - n'aura pas été résolue. Il faudrait des économistes de l'envergure d'un Keynes et des hommes d'Etat de la carrure d'un Roosevelt ou d'un Churchill pour faire émerger ce nouveau système. A la différence près que l'avenir de la régulation financière ne s'écrira plus à Londres ou Washington. Il s'écrira bien plus à Pékin et à New Delhi où le rôle de la finance est encore perçu positivement, comme une composante essentielle du développement, et où les gouvernements gardent encore la main haute sur les circuits de financement de l'économie. Assurément ce n'est pas pour eux que sonne le glas.

     

     

     


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  • L’actualité montre chaque jour que les grands pays émergents aspirent à jouer un rôle plus important dans la gestion des affaires du monde.

    On en a eu une confirmation la semaine dernière avec les deux mini-sommets à “géométrie variable” entre les quatre BRIC d’une part (Brésil, Russie, Inde, Chine) et entre le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde (BASI) d’autre part.

    La coalition des puissances moyennes qui se dessine autour de la Turquie et du Brésil sur la question iranienne (voir à ce sujet l’excellent article de Natalie Nougayrede dans Le Monde et l’article de Guillaume Perrier sur “les nouveaux horizons de la diplomatie turque” dans le même journal) est également représentative de cette volonté d’affirmation croissante des pays émergents sur la scène internationale.

    Comment définir les caractéristiques de cette nouvelle diplomatie Sud - Sud émergente ? Il est très difficile de se livrer à ce type d’exercice dans un monde qui évolue en permanence depuis la fin du système bipolaire avec la chute du Mur de Berlin en 1989, néanmoins on peut tenter d’esquisser à grands traits certaines de ces caractéristiques :

    1. Le refus de l’hégémonisme des grandes puissances et par extension de l’unilatéralisme américain

    Ce trait constant de la diplomatie Sud - Sud est en effet bien connu depuis la conférence de Bandung en 1955 qui donne naissance au mouvement des “non alignés”. Rappelons les 10 points de la charte de Bandung :

    1) Respect des droits humains fondamentaux en conformité avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ;

    2) Respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de toutes les Nations ;

    3) Reconnaissance de l’égalité de toutes les races et de l’égalité de toutes les Nations, petites et grandes ;

    4) Non-intervention et non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ;

    5) Respect du droit de chaque Nation de se défendre individuellement ou collectivement conformément à la Charte des Nations Unies ;

    6) Refus de recourir à des arrangements de défense collective destinés à servir les intérêts particuliers des grandes puissances quelles qu’elles soient ; refus par une puissance quelle qu’elle soit d’exercer une pression sur d’autres ;

    7) Abstention d’actes ou de menaces d’agression ou de l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un pays ;

    8) Règlement de tous les conflits internationaux par des moyens pacifiques, tels que négociation ou conciliation, arbitrage ou règlement devant les tribunaux, conformément à la Charte des Nations Unies ;

    9) Encouragement des intérêts mutuels et coopération ;

    10) Respect de la justice et des obligations internationales. 

    Cette charte sert par exemple de fondement moral au “Consensus de Beijing” promu par la Chine dans ses relations avec les pays du Sud, notamment à travers l’affirmation de la doctrine de la souveraineté nationale et de la non-ingérence qui remet en cause explicitement le “droit d’ingérence” d’inspiration occidentale.

    2. Le primat d’une diplomatie économique commerciale sur une diplomatie sécuritaire

    Sur le dossier iranien ce sont en effet en grande partie les intérêts économiques et financiers qui déterminent la position de pays comme la Turquie, le Brésil, la Russie ou la Chine. Les relations diplomatiques sont conçues avant tout comme un moyen de promouvoir les intérêts commerciaux.

    Des pays comme le Brésil sentent qu’ils n’ont rien à gagner d’une attitude de “soumission” sur la question iranienne. Au contraire, la démonstration d’une solidarité à l’égard d’une autre puissance moyenne aux aspirations comparables permet de renforcer le prestige du pays et son rôle d’hégemon régional.   

    3. La volonté de refonte des grandes organisations internationales pour mieux refléter les nouveaux rapports de force

    Au delà du primat de la diplomatie commerciale qui correspond plus à une démarche de prudence bismarckienne qu’à une vision irénique du monde, les pays émergents souhaitent en effet accélérer la refonte des organisations internationales au premier rang desquelles figurent l’ONU et son principal organe exécutif : le Conseil de Sécurité.

    Les pays émergents estiment avec raison que la configuration actuelle (directoire des cinq puissances victorieuses de la seconde guerre mondiale) ne correspond plus à la réalité des rapports de force économiques, démographiques et politiques dans le monde. La présence notamment de deux pays européens au sein de ce directoire (France, Royaume-Uni) et l’absence de représentant de l’Amérique Latine ou de l’Afrique est perçue comme une aberration.

    A cet égard, la position de la Chine est assez ambiguë puisqu’elle fait partie à la fois des grandes puissances reconnues par le système actuel (elle fait partie des “cinq grands”) et qu’elle se perçoit toujours comme un “challenger” ou un “outsider”. Ce sentiment est un héritage de la frustration accumulée depuis les Traités inégaux du XIXème siècle et qui va vraisemblablement perdurer au moins jusqu’à la réunification avec Taiwan. On est proche ici d’une géopolitique de l’émotion telle que décrite par Dominique Moïsi dans son essai éponyme.

    On voit bien le lien entre la réforme de la sécurité collective et le problème de la prolifération nucléaire - ou le droit à la sécurité nucléaire qui pourrait être revendiqué par des pays comme l’Iran ou le Brésil - dans un monde multipolaire. La dissuasion nucléaire est en effet efficace dans un système bipolaire - on pourrait même dire qu’elle est au coeur de cet équilibre bipolaire, c’est le fameux équilibre de la terreur - mais elle perd sa ratio essendi dans un système multipolaire.

    Avec l’émergence de cette diplomatie Sud - Sud et de “coalitions du refus” à géométrie variable, le grand problème de ce début de XXIème siècle n’est pas tant celui de la prolifération nucléaire - problème presque dépassé au regard des évolutions géostratégiques - mais plutôt celui d’une reconfiguration radicale de la sécurité collective au niveau international dans un système qui évite à la fois les dérives impériales des années récentes et les impasses d’un équilibre des puissances “façon XIXème siècle” dont on connaît le résultat. Un tel système reste encore à inventer.


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    Depuis le début de l'année 2010, on observe un intérêt marqué des analystes politiques et des journalistes pour la relation bilatérale "Chine - USA". Cette dernière a connu un certain nombre de tensions récemment avec la colère chinoise contre des ventes d'armes américaines à Taiwan ou encore la visite du Dalaï Lama à Washington. Mais l'heure est aujourd'hui à l'appaisement, et après la visite surprise à Pékin du Secrétaire au Trésor américain Tim Geithner c'est le Président chinois Hu Jintao en personne qui a fait le déplacement à Washington, à la grande satisfaction de Barack Obama.

    Officiellement ce déplacement du chef de l'Etat chinois avait pour but d'assister au sommet sur le désarmement nucléaire qui s'est achevé ce mardi à Washington. Officieusement il s'agissait de sceller la "réconciliation" entre les deux grandes puissances après les tensions récentes, notamment autour de la question de l'appréciation du yuan, comme le notait Eric Le Boucher dans Les Echos. Il s'agissait aussi pour les Etats-Unis d'amadouer la Chine pour obtenir son soutien, ou en tout cas sa neutralité bienveillante, sur le dossier nucléaire iranien dont les Etats-Unis et d'autres pays comme la France souhaitent accélérer le traitement.

    La plupart des analyses sur la relation "Chine - Etats-Unis" se contentent en effet de souligner l'interdépendance commerciale et financière qui existe entre les deux pays. Pour simplifier, les Etats-Unis achètent des biens fabriqués par les Chinois que ces derniers leurs vendent à crédit en achetant les bons du Trésor américain. La crise financière n'a en rien modifié cette réalité.

    Mais le débat pourrait bientôt se déplacer de la sphère purement économique vers la sphère de la "haute politique". A cet égard, le point de vue intéressant de Wen Liao, présidente d'un cabinet de conseil en stratégie et géopolitique dans le Financial Times apporte de la hauteur au débat. Ce point de vue intitulé "Bismark's Lessons for Beijing" fait un rapprochement audacieux et pertinent entre la situation de la Chine d'aujourd'hui et celle de l'Empire Allemand à la suite de l'unification allemande de 1871, orchestrée de main de maître par le Chancelier Otto von Bismarck.

    L'émergence de la Chine comme grande puissance au XXIème siècle rappelle en effet étrangement celle de l'Allemagne bismarckienne de la fin du XIXème siècle. Même système authoritaire à l'intérieur légitimé par un boom économique sans précédent. Même volonté de conciliation à l'extérieur - avec les concepts d"équilibre des puissances et de politique de bon voisinage - et même obsession pour l'achèvement de l'unité territoriale et spirituelle de la nation. Le credo de l'émergence pacifique de la Chine proclamé par les leaders chinois fait indubitablement penser à la politique "défensive" de la Prusse à l'époque de Bismarck.

    Si l'histoire se répète cette phase d'émergence pacifique pourrait prendre fin tout comme la Prusse bismarckienne s'est mûe en Empire allemand expansionniste et guerrier. Les théoriciens des relations internationales américains de feu Samuel Huntington à John Mearscheimer (1) ne s'y trompent pas. Selon ce dernier, l'émergence de la Chine risque d'être tout sauf pacifique. Il souligne en effet que l'Empire du Milieu va naturellement aspirer à un rôle d'hégémonie régionale en Asie - rôle qu'il a au demeurant exercé pendant près de deux mille ans - et développer une sorte de pendant de la doctrine Monroe américaine. Mais les Etats-Unis ne pourront pas rester les bras croisés face à cette volonté d'hégémonie chinoise en Asie. Leur doctrine stratégique actuelle qui date de la période de Georges W. Bush proclame en effet qu'ils ne sauraient tolérer de "peer competitor" où que ce soit dans le monde.

    Et même si la Chine et les Etats-Unis se réconcilient à court terme, il est claire que leurs intérêts divergent à plus long terme. Quand la Chine pourra se passer économiquement du consommateur américain, elle pourra alors réaffirmer sa souveraineté dans d'autres domaines. Saura-t-elle convaincre d'autres Etats de la région de la suivre et de tisser des alliances autour d'elle ? Tel est le grand enjeu de la diplomatie chinoise au XXIème siècle : exercer une attraction suffisamment forte sur ses voisins et accroître son soft power, qui repose plus sur la persuasion que sur la contrainte, par opposition au hard power. A défaut, le réveil sera douloureux pour le monde entier.

    Notes

    (1) Cf. John Mearscheimer, China's Unpeaceful Rise, Current History, Avril 2006

     

     

     

     


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  • Photo : Rue marchande à Istanbul. Source : Wikimedia

    A l'occasion de la récente visite du premier ministre turc Recep Tayip Erdogan en France, il est intéressant de faire un point sur ce pays en plein boom économique et qui offre des opportunités largement sous-estimées.

    En effet, si on devait qualifier l'évolution de la Turquie au cours des dix dernières années, c'est bien l'expression de "miracle turc" qui s'impose.

    Ce pays fort de 70 millions d'habitants, géographiquement et culturellement à cheval entre l'Europe et le Moyen-Orient, devrait compter plus de 90 millions d'habitants d'ici vingt ans grâce à une démographie beaucoup plus dynamique que celle de ses voisins européens. Cela s'explique par une population qui est encore rurale à près de 30% dont l'urbanisation progresse rapidement.

    Avec un revenu par habitant de l'ordre de 14000 dollars en parité de pouvoir d'achat en 2008 (source : Banque mondiale), la Turquie apparaît dans le peloton de tête des pays dits émergents. Le taux de croissance moyen de l'économie, supérieur à 5%-6% par an au cours des années 2000, devrait se maintenir à ce rythme élevé au cours des dix à vingt prochaines années. Ce qui permettra à la Turquie de rattraper le niveau de vie moyen de l'Europe de l'Ouest dans à peine une à deux générations. 

    L'industrie turque est l'une des plus compétitives de la région EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique) grâce aux restructurations réalisées après la sévère crise économique qu'a connu le pays au tournant des années 2000. La spécialisation "moyen de gamme" de cette industrie correspond parfaitement bien aux avantages comparatifs du pays en terme de coût de la main d'oeuvre et de localisation géographique, à la croisée de l'Europe, de l'Afrique et de l'Asie. C'est notamment le cas dans la sidérurgie, la chimie lourde, la construction ou encore la production automobile. Ce n'est pas pour rien que les grands constructeurs automobiles européens comme Renault, Volkswagen ou Fiat construisent de plus en plus d'usines dans ce pays !

    En outre, le secteur financier a été purgé et se targue aujourd'hui d'avoir l'une des rentabilités les plus élevées au monde avec un ROE autour de 20%, que la crise mondiale a à peine effleuré. Le plus gros du travail de remise à niveau a été effectué il y a dix ans, et quand on pense que la population reste encore sous-bancarisée par rapport à la moyenne européenne (notamment pour l'accès au crédit à la consommation et au crédit immobilier), on mesure le potentiel de progression du secteur.

    La société turque a énormément changé au cours des trente dernières années. Le clivage entre laïques et conservateurs subsiste encore mais il a évolué au bénéfice d'une pacification de la société gagnée toute entière à la culture de consommation qui est de facto l'idéologie dominante. Les islamo-conservateurs de l'AKP au pouvoir, dont les cadres sont issus pour la plupart de la moyenne bourgeoisie provinciale se rapprochent à cet égard bien plus des partis conservateurs européens que des mouvances moyen-orientales. La laïcité demeure un ciment de la société turque et même l'AKP s'attache à bien faire la différence entre la religion et la politique. (voir l'interview de Erdogan dans le Figaro)

    Y-a-t-il des points noirs dans cette belle vision optimiste ? Il y en a à n'en point douter. Le pays a fait un bond en avant en terme de maturité démocratique mais le problème kurde empoisonne toujours le climat dans certaines régions. L'inflation menace de ressurgir périodiquement, les inégalités se creusent et la réussite économique du pays renforce un certain nationalisme turc qui se nourrit de la valse-hésitation des négociations d'entrée à l'UE. L'Europe n'a toujours pas intégré l'atout que représente la Turquie dans la construction d'une Grande Europe puissance. Frileusement, derrière les discours sur la compatibilité de l'islam et de la démocratie, on voit en filigrane la réticence de grands pays européens comme la France à faire bénéficier les paysans turcs de la PAC, qui signifierait de facto la disparition de cette dernière. 

    Résultat on se prive d'une opportunité historique d'arrimer solidement à nos rivages l'un des "tigres économiques" du monde d'aujourd'hui et de demain. Comme la nature a horreur du vide on ne s'étonnera pas que la Turquie choisisse alors en désespoir de cause de développer d'autres partenariats plus à l'Est et au Sud. Les candidats à un tel rapprochement sont tout trouvés : Iran, Irak, Maghreb, Caucase et Asie centrale...et même la Russie qui entretient des relations économiques très fortes avec son ancien ennemi historique.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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