• Peer Steinbrück, l'emblématique ministre des finances allemand a laissé entendre que c'était aux actionnaires de supporter le poids des actifs toxiques accumulés par les banques. L'Etat ne prendrait en charge que les actifs considérés comme illiquides mais qui ne seraient pas définitivement compromis.

    Cette distinction faite entre actifs toxiques et actifs illiquides illustre bien l'incapacité de certains responsables politiques à tirer toutes les leçons de la crise financière.

    La valeur d'un actif financier, comme celle de tout autre bien, est avant tout fixée par la rencontre d'un vendeur et d'un acheteur sur un marché. L'absence de marché transforme vite un actif illiquide en actif toxique. Ainsi, la banque américaine Lehman Brothers a fait faillite en quelques jours seulement à la suite de problèmes de refinancement apparus sur son énorme ardoise d'actifs, détenus en garantie contre des prêts financiers accordés à des banques ou à des hedge funds. Les actifs illiquides se sont vite transformés en actifs toxiques.

    De fait, si la crise financière a révélé le risque de crédit incommensurable porté par les actifs adossés à des titres hypothécaires américains, elle a aussi et surtout mis en évidence le risque de liquidité associé à tout actif, toxique ou non, à partir du moment où un doute s'installe sur la valeur réelle de celui-ci et que le marché s'évapore.

    Comme le montre très bien Markus Brennermeier, professeur d'économie à l'université de Princeton, dans un papier qui devrait faire date, le risque de liquidité associé à des actifs financiers est intrinsèquement lié au risque de refinancement de ces actifs. Il suffit de fermer le robinet du crédit pour que le risque de liquidité augmente de manière exponentielle, et que les prix des actifs concernés s'écartent durablement de leur valeur fondamentale.

    Dans un contexte où on ne connait même pas la valeur fondamentale des titres, comme c'est le cas pour les RMBS et autres CDOs adossés à des titres hypothécaires - le seul modèle disponible, basé sur la théorie de la copule gaussienne, ayant été invalidé - la distinction entre actifs toxiques et actifs illiquides devient purement rhétorique.

    C'est pourquoi il est aberrant de vouloir séparer le bon grain de l'ivraie au motif de punir des banquiers voyous. L'intention peut sembler louable dans un monde idéal où économie et justice vont de pair, mais cette vision "morale" ne cadre malheureusement pas avec le fonctionnement des économies hyperfinanciarisées dans lesquelles nous vivons.

    Depuis Bagehot, nous savons en effet que la théorie de l'aléa moral ne résiste pas aux impératifs de l'action publique lorsqu'il y a un risque systémique important. C'est le cas aujourd'hui dans la finance mondiale. Et ça l'est encore plus en Allemagne où le système bancaire souffre d'un véritable archaïsme derrière la façade lisse du modèle rhénan, dont on nous a longtemps vanté les mérites.

    Si les grandes banques commerciales à vocation internationale comme la Deutsche Bank ou la Commerzbank ont toutes subi des pertes importantes avec la crise financière, ce qui est plus grave, c'est que certaines banques régionales, ces fameuses Landesbanken qui jouent un rôle clé dans le système bancaire allemand, - entre les banques commerciales et les caisses d'épargne - ont usé et abusé des actifs toxiques qu'elles ont emballé dans des véhicules hors bilan et packagé sous forme de fonds monétaires dynamiques.

    C'est précisément parce que les marges étaient faibles sur les métiers traditionnels des Landesbanken (prêts aux collectivités locales, refinancement des caisses d'épargne, soutien au logement et à l'industrie régionale), dans un système corseté de conflits d'intérêt en tous genres et soumis aux ingérences politiques, que ces banques publiques ont commencé à développer des activités de marché, dans les années 1990-2000, afin de dégager une rentabilité plus importante.

    Contrairement au système bancaire français ou toutes les institutions sont placées sous la supervision d'un régulateur unique, quel que soit leur statut juridique, le système des Landesbanken est caractérisé par une gouvernance qui fait la part belle aux instances politiques des Lander, comme en Bavière où la BayernLB a été longtemps considérée comme la caisse de résonance de la CSU, recyclant ses cadres dirigeants et secondant fidèlement ses objectifs politiques.

    Il est grand temps de remettre de l'ordre dans ce système bancaire. Et s'il faut mettre 200 ou 300 milliards d'euros sur la table, le réaliste Steinbrück devra s'y résoudre. Une Bad Bank chargée d'épurer les actifs toxiques est nécessaire mais non suffisante. Il faudra également une réorganisation de l'ensemble du système. A défaut, les banques allemandes risquent de se transformer en zombies dans un scénario qui rappelle étrangement le Japon des années 90.

     

    Carte des Landesbanken allemandes


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  • J'avais estimé il y a quelques semaines que les actifs toxiques portés par les grandes banques américaines et européennes seraient sensiblement révisés à la hausse pour atteindre 3000 à 4000 milliards d'ici la fin de l'année. Le Times révèle les nouvelles estimations du FMI qui devraient être confirmées d'ici au 21 avril. Elles s'avèrent conformes à mes propres estimations puisque le montant des actifs toxiques portés par les banques US serait estimé par le FMI à 3100 milliards de dollars (contre une prévision de 2200 milliards en janvier), et les actifs portés par les banques européennes seraient dépréciés de 900 milliards de dollars. Le total atteint donc 4000 milliards de dollars. Cette information a été reprise par toute la presse nationale et internationale ce matin.

    Ce chiffre de 4000 milliards pourrait encore être révisé à la hausse si la récession mondiale s'installait durablement. A ce propos, il n'est pas vain de rappeler que la récession actuelle est très différente des récessions précédentes. C'est une crise du crédit qui a provoqué la récession actuelle. Par conséquent, la sortie de la récession ne pourra se faire que si la pompe du crédit s'enclenche à nouveau quand la confiance des entreprises et des ménages reviendra (lire à ce propos l'excellente analyse de Roger Altman dans le Financial Times). Or dans le contexte actuel d'accumulation des pertes et de dépréciations d'actifs dans les bilans bancaires - la tendance étant clairement à l'aggravation - on ne voit pas bien comment le crédit pourrait repartir à la hausse, tant que le problème n'est pas traité à la source. Même en 2010 si reprise il y a, celle-ci serait de toute évidence très fragile. On risque d'avoir un scénario en W (reprise puis rechute) comme en 1980-1982, surtout si les menaces de retour de l'inflation se confirment. 

    La question du nettoyage des actifs toxiques portés par les banques, - qui n'a même pas été effleurée au G20 à Londres -, devrait donc revenir au centre des priorités politiques. Tous les plans de relance du monde ne suffiront pas à relancer l'économie mondiale si le secteur bancaire n'est pas restructuré. A défaut, le monde pourrait s'enliser dans une récession durable, et toute amorce de reprise serait vite cassée.


     


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  • J'ai été un peu sévère dans mon précédent article sur le sommet du G20 à Londres. Je reconnais avoir sous-estimé la détermination des participants à parvenir à un accord, même au prix de compromis arrachés à la dernière minute. L'histoire dira qui a forcé la main à qui. Mais la posture de Nicolas Sarkozy qui a menacé de quitter la table des négociations a sans doute permis de rééquilibrer la balance au dernier moment, en remettant des éléments sur la régulation financière dans le texte final du communiqué - alors que les anglo-saxons auraient sans doute préféré un simple renvoi à des documents techniques joints en annexe.

    Barack Obama a eu à coeur de ne pas froisser ses partenaires européens, en concédant des modifications sur la forme. Il a convaincu les Chinois de ne pas bloquer la publication d'une liste de l'OCDE sur les centres offshore non coopératifs, alors que ces derniers avaient menacé d'opposer leur véto, au motif que Hong Kong et Macao pourraient être visés. Cette liste, ou plutôt ces trois listes qui classent les centres offshore par degré de coopération, constituent la seule véritable mesure médiatique du sommet en matière de régulation financière.  

    Pour le reste, je ne vais pas faire l'inventaire des mesures technique citées dans le communiqué, et qui avaient déjà fait pour la plupart l'objet d'un large consensus. Il s'agit essentiellement de modifier les normes prudentielles (Bâle II) pour tenir compte des effet du cycle économique sur les bilans des banques, selon un principe de bon sens : accumuler des réserves pendant les beaux jours pour mieux faire face aux mauvais jours. En outre, il s'agit de modifier les règles comptables en amendant la fair value pour mieux tenir compte du caractère illiquide de certains actifs, et en facilitant le transfert d'actifs du portefeuille de négociation vers le portefeuille d'investissement, pour lequel c'est la comptabilité au coût historique qui s'applique.

    On pourra également souligner la volonté de renforcer le Forum de Stabilité Financière (FSF), un "machin" créé en 1997-1998, après la crise asiatique et la faillite du fonds spéculatif LTCM, pour surveiller le risque systémique, mais qui s'est contenté jusqu'à présent d'être un organisme technique sans véritable poids politique. Pour avoir participé à la préparation de réunions de ce Forum, j'ai surtout pu mesurer le caractère suranné des débats, toujours en retard d'une crise sur les apprentis sorciers de la finance, comme l'a montré la crise des subprimes. La logique gradualiste qui vise à faire passer un machin sans substance à une organisation internationale avec un vrai pouvoir de décision risque de montrer ses limites rapidement. D'autant que le FSF émet seulement des recommandations et non des règles "en dur". Au lieu de multiplier les structures, il aurait mieux fallu renforcer le FMI en intégrant la régulation macro-prudentielle à ses missions, ou en donnant plus de poids à la Banque des Réglements Internationaux (BRI), la "banque des banques centrales", qui assure le secrétariat du Forum. 

    Quant à la recapitalisation des banques et au nettoyage des actifs toxiques, le communiqué ne les mentionnent presque pas. Aucune coordination n'est prévue dans ce domaine. Il n'est pas non plus fait allusion à la création d'un régulateur financier au niveau mondial, mais à un simple dialogue annuel entre régulateurs financiers des différents pays.

    Non, la vraie réussite de sommet est ailleurs.

    Elle est incontestablement liée aux efforts financiers déployés pour relancer l'économie mondiale, à travers les ressources considérables accordées au FMI - le vrai gagnant de ce sommet ! - dont la capacité d'intervention est portée de 250 à 1000 milliards de dollars (en incluant les 250 milliards de droits de tirages spéciaux créées ex nihilo), et dont la mission consiste à apporter de la liquidité aux économies émergentes qui ont le plus souffert de la crise. A cela s'ajoutent 250 milliards de dollars de crédits publics pour le financement du commerce international, qui participent au même objectif : palier la contraction du crédit bancaire privé par des ressources publiques. Là aussi, il ne faut pas y voir un quelconque altruisme, mais une reconnaissance de l'interdépendance  entre les économies développées et les économies émergentes : les secondes font travailler le capital des premières. C'est une logique pragmatique et utilitariste qui prévaut, selon des intérêts réciproques bien compris. Au final, cette injection de liquidité bénéficiera largement aux multinationales des pays développés et à celles de quelques pays émergents aux ambitions croissantes (Chine, Brésil, Corée du Sud, Mexique, ..).

    Les pays pauvres eux méritent bien moins d'égards, puisqu'ils ne contribuent pas à la croissance mondiale. Le communiqué du G20 rappelle bien l'attachement des pays signataires aux Objectifs du Millénaire (réduction de moitié la pauvreté dans le monde d'ici 2015), mais cela fait longtemps que personne ne croît plus à ces objectifs, y compris au sein de l'agence onusienne chargée de superviser les progrès dans ce domaine (voir à ce sujet le dernier rapport d'avancement).    

    Quant à la réforme des institutions financières internationales, FMI et Banque mondiale, qui constituait la première exigence des grands pays émergents, elle se fera, certes, mais à un rythme très lent, qui ne remettra pas fondamentalement en cause la prépondérance des Etats-Unis et de l'Europe dans ces instances (voir la liste des quotes-parts).

    De même, au niveau monétaire, le dollar restera encore longtemps la devise de réserve mondiale, et les propositions russo-chinoises d'une nouvelle monnaie internationale ne rencontreront au mieux, qu'une attention polie. La Chine, qui pourrait prétendre à un rôle plus important au sein du système international, - voire un jour lointain au premier rôle -, reste encore un pays en développement, avec un revenu moyen par habitant de 5000 dollars, contre 25000 aux Etats-Unis. L'empire du milieu est encore beaucoup trop dépendant des exportations et ne propose pas de modèle de civilisation universel capable de susciter un engouement hors de ses frontières, comme l'avait fait l'Union soviétique en son temps, et comme continuent à le faire les Etats-Unis.

    Barack Obama peut afficher un sourire éclatant. Il aura réussi le double pari de faire oublier au monde entier l'unilatéralisme de l'Administration Bush, tout en rassurant les Américains sur leur capacité de leadership mondial. Le sommet du G20 ne déroge pas à cette règle. La grammaire des affaires restera encore longtemps la chasse gardée des Anglo-saxons. Pour le meilleur et pour le pire.


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