• La réunion du G7 qui s'est tenue à Rome n'aura ainsi débouché que sur un communiqué lénifiant appelant les grands Etats développés à agir de concert face à la crise économique et à se garder de tout protectionnisme, tout en renvoyant les décisions sur le fond au prochain sommet du G20 qui doit se tenir à Londres début avril. 

    A vrai dire personne n'attendait grand chose de cette réunion "intermédiaire" entre deux sommets du G20, le G7 ayant depuis longtemps perdu la main sur la gestion des grands problèmes économiques mondiaux. On retiendra surtout les signaux d'apaisement envoyés à la Chine, qui devient un partenaire incontournable, avec ses réserves de change de près de 2000 milliards de dollars et sa balance commerciale largement excédentaire.

    Les enceintes consultatives de type G7, ou même G20 élargi aux grands pays émergents, sont d'une efficacité très relative en l'absence d'accords véritablement contraignants. Ces réunions servent surtout de forums pour échanger des informations entre responsables politiques, ministres, et hauts fonctionnaires. C'est une sorte de pendant public au Forum de Davos, qui avait intégré depuis longtemps les pays émergents, au point de consacrer ses manifestations successives aux BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), et de créer un véritable "Davos d'été" dans la ville chinoise de Tianjin.

    Historiquement, les grandes conférences internationales qui ont abouti à la refonte du système financier international se comptent sur les doigts d'une main : la conférence de Gênes en 1922 qui a tenté sans succès de ressusciter l'étalon-livre, la conférence de Bretton Woods en 1944 qui crée le système de l'étalon-dollar, et la conférence de Kingston en 1976 qui sonne le glas du système financier international, en transférant aux marchés financiers le pouvoir de fixer librement les parités de change entre les grandes devises. Les Etats capitulent face aux marchés !    

    La marchéïsation et la privatisation financière commencent donc dans les années 70, et s'accompagnent d'un développement exponentiel des produits dérivés, utilisés initialement pour fournir des couvertures de taux et de change aux entreprises commerciales déboussolées par les fluctuations erratiques des marchés. Mais la finance de spéculation (speculative finance) prend vite le dessus sur la finance de couverture (hedge finance), faisant dire à Marvin Minsky dès la fin des années 70 que le système financier était désormais entré dans une période d'instabilité chronique, génératrice de crises à répétition.

    Il est symptomatique de constater que la seule véritable avancée en matière de régulation internationale, dans la période post-Bretton Woods, ne vient pas des Etats mais d'acteurs non étatiques, parapublics et privés, qui créent l'International Accounting Standards Committee (IASC) en 1973. L'IASC, renommée IASB en 2000, se développe alors comme une véritable organisation internationale, mais reste dominée par les grands réseaux d'audit, les fameux Big Five - aujourd'hui Big Four après la disparition d'Arthur Andersen en 2003. l'IASB se présente comme une alternative "internationaliste" à l'expansion rampante des normes comptables américaines - les US GAAP - dont elle finit néanmoins par adopter la plupart des normes, y compris la très controversée...fair value !  

    En réalité, dans le monde hyper- financiarisé d'aujourd'hui, les Etats n'ont que très peu de prise sur les 10 trillions de dollars qui s'échangent chaque jour sur les marchés financiers. Parler dans ce contexte de "Bretton Woods II" comme le suggèrent certains responsables politiques, témoigne non seulement d'une profonde méconnaissance de la réalité économique, mais aussi d'une forme de schizophrénie. Le retour à un contrôle des transactions financières impliquerait en effet, d'abord et surtout, une résolution des déséquilibres économiques mondiaux (excès de consommation d'un côté, excès d'épargne de l'autre). Or il ne peut y avoir de correction de ces inégalités sans un transfert de pouvoir d'achat massif des pays développés vers les pays émergents, au premier rang desquels figurent la Chine. Aucun responsable politique occidental n'oserait prendre ce risque !

    Gageons donc qu'en l'absence de gouvernement mondial, et n'en déplaise aux utopistes de tous bords, les sommets du G7 ou du G20 ne déboucheront dans le meilleur des cas que sur une correction à la marge des défaillances du système actuel (renforcement des exigences en fonds propres des banques, surveillance accrue des fonds d'investissement, amendements à la fair value, etc). Mais les marchés financiers resteront les vrais maîtres du monde, G20 ou pas.  

     

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  • La crise économique ? Nous y sommes plongés jusqu'au cou ! Il n y a qu'a voir les chiffres, plus mauvais les uns que les autres : production industrielle en chute libre, indice de confiance des ménages au fond du trou, ventes de détail dans les limbes ...Il ne se passe pas un jour sans que l'on nous rabâche ces mauvais chiffres sensés confirmer la gravité de la crise et dissiper les derniers doutes sur son caractère "historique". On n'a pas connu ça depuis que les indicateurs existent ! C'est la pire crise depuis la Grande Dépression des années 30 ! Tout a été dit dans le registre catastrophiste quasi-religieux. Il n y a plus qu'à prier pour que le Dieu Economie veuille bien expier les pêchés du consommateur mondial adorateur du veau d'or Finance. Tous les médias ont entonné ce chant crépusculaire qui fait vendre du papier et qui gonfle les audiences.

    Pourtant la vérité est ailleurs. On peut tourner les chiffres dans tous les sens, ils ne diront rien de plus que ce pour quoi ils ont été conçus. Ils ne servent qu'à donner une image instantanée de l'économie qui ne dit rien sur son évolution future. Au mieux, l'image reflétera le présent. Mais dans la majorité des cas, les indicateurs statistiques se contentent d'enregistrer le passé. A peine produits, ils sont déjà dépassés ! C'est le cas de tous les chiffres sur la production industrielle, sur produit intérieur brut, ou sur les ventes qui ne sont qu'une traduction comptable backward looking de ce qui s'est produit. Voilà la confusion la plus importante ! On confond le rétroviseur avec la longue vue. Une confusion à laquelle des esprits non initiés aux arcanes de la comptabilité nationale peuvent, il est vrai, succomber de bonne foi. Mais cette confusion est malheureusement entretenue par tous ceux qui trouvent un intérêt direct ou indirect à égrener de mauvais chiffres, parce que cela justifie un argumentaire politique ou journalistique.     

    Au delà de cette observation de bon sens, il y a une raison plus profonde à l'intérêt limité des indicateurs statistiques. Cela renvoie à un problème central en épistémologie qui a donné lieu à une controverse célèbre : la "querelle des méthodes" (Methodenstreit) des années 1870-1880 entre l'Ecole Allemande de l'historicisme (Schmoller & co) et l'Ecole Autrichienne du rationalisme (Menger et consors). Les premiers affirmaient que tous les phénomènes sociaux - y compris les phénomènes économiques - devaient être analysés de manière empirique à partir des données historiques. Les seconds rejetaient cet empirisme au profit d'une compréhension plus profonde fondée sur une analyse rationnelle - éclairée - de l'action humaine.

    Le rationalisme l'a fort heureusement emporté par la suite, mais le schisme entre les deux écoles de pensées demeure. L'empirisme historique s'est réfugié dans l'économétrie, ou science des statistiques économiques, qui a débouché sur la comptabilité nationale et sur les fameux indicateurs économiques (PIB, production industrielle, indicateur de confiance, etc...) utilisés partout dans le monde depuis cinquante ans. 

    En réalité, si les indicateurs sont utiles par le tableau qu'ils dressent de la situation, ce qu'ils ne disent pas est bien plus important que ce qu'ils disent. Les indicateurs sont tributaires de leur méthodologie de calcul et d'une certaine naïveté historiciste qui consiste à penser que le passé se reproduit à l'identique dans le futur. A ce titre, ils relèguent au rang de "surprise statistique" ou de "résidu", tout ce qui s'avère non conforme à leurs "indications" et qui se révèle bien souvent essentiel. Les prévisions économiques issues de l'analyse des indicateurs sont tout sauf fiables. Ils butent sur la question de la réflexivité, mise en évidence par l'économiste Lucas dans un article célèbre au début des années 70. Autrement dit, ils ne peuvent pas se remettre en cause puisqu'ils sont "programmés", en fonction de certains critères et hypothèses sur les comportements individuels et collectifs, qui n'ont plus forcément cours. Ils n'intègrent pas les enseignements de la psychologie dont l'importance est pourtant fondamentale en économie.

    Les indicateurs n'ont pas prévu la stagflation des années 70 comme ils n'ont pas intégré la désinflation des années 80, ou la révolution technologique des années 90. Leur utilité est purement conjoncturelle mais ils se trompent souvent sur l'évolution de la conjoncture.

    De manière plus pernicieuse encore, les mauvais chiffres dégradent la confiance des ménages et des entreprises et s'imposent de cette manière, la baisse de la confiance générant des chiffres encore plus mauvais qui justifie ex post les chiffres précédents - sur le mode de "on vous l'avait bien dit !" - , dans un cercle vicieux qui n'en finit pas. C'est le mauvais côté de la réflexivité, qui est accentuée par la focalisation sur les indicateurs. 

    Pour toutes ces raisons, il faut sortir de la tyrannie des indicateurs. Ils sont utiles lorsqu'ils permettent d'éclairer le débat ou de valider ex post un raisonnement logique ou une politique publique, mais ils sont nuisibles dès lors qu'ils accaparent tout le champs du débat public, et qu'ils étouffent toutes les voix dissonantes qui ne se reconnaissent pas dans le discours catastrophiste ambiant. 

     

     


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